ACTE V - Scène IV
Tite
Eh bien ! Madame, eh bien ! Faut-il tout hasarder ?
Et venez-vous ici pour me le commander ?
Bérénice
De ce qui m'est permis je sais mieux la mesure,
Seigneur ; et j'ai pour vous une flamme trop pure
Pour vouloir, en faveur d'un zèle ambitieux,
Mettre au moindre péril des jours si précieux.
Quelque pouvoir sur moi que notre amour obtienne,
J'ai soin de votre gloire ; ayez-en de la mienne.
Je ne demande plus que pour de si beaux feux
Votre absolu pouvoir hasarde un : "je le veux."
Cet amour le voudrait ; mais comme je suis reine,
Je sais des souverains la raison souveraine.
Si l'ardeur de vous voir l'a voulue ignorer,
Si mon indigne exil s'est permis d'espérer,
Si j'ai rentré dans Rome avec quelque imprudence,
Tite à ce trop d'ardeur doit un peu d'indulgence.
Souffrez qu'un peu d'éclat, pour prix de tant d'amour,
Signale ma venue, et marque mon retour.
Voudrez-vous que je parte avec l'ignominie
De ne vous avoir vu que pour me voir bannie ?
Laissez-moi la douceur de languir en ces lieux,
D'y soupirer pour vous, d'y mourir à vos yeux :
C'en sera bientôt fait, ma douleur est trop vive
Pour y tenir longtemps votre attente captive ;
Et si je tarde trop à mourir de douleur,
J'irai loin de vos yeux terminer mon malheur.
Mais laissez-m'en choisir la funeste journée ;
Et du moins jusque-là, seigneur, point d'hyménée.
Pour votre ambitieuse avez-vous tant d'amour
Que vous ne le puissiez différer d'un seul jour ?
Pouvez-vous refuser à ma douleur profonde…
Tite
Hélas ! Que voulez-vous que la mienne réponde ?
Et que puis-je résoudre alors que vous parlez,
Moi qui ne puis vouloir que ce que vous voulez ?
Vous parlez de languir, de mourir à ma vue ;
Mais, ô dieux ! Songez-vous que chaque mot me tue,
Et porte dans mon cœur de si sensibles coups,
Qu'il ne m'en faut plus qu'un pour mourir avant vous ?
De ceux qui m'ont percé souffrez que je soupire.
Pourquoi partir, madame, et pourquoi me le dire ?
Ah ! Si vous vous forcez d'abandonner ces lieux,
Ne m'assassinez point de vos cruels adieux.
Je vous suivrais, madame ; et flatté de l'idée
D'oser mourir à Rome, et revivre en Judée,
Pour aller de mes feux vous demander le fruit,
Je quitterais l'empire et tout ce qui leur nuit.
Bérénice
Daigne me préserver le ciel…
Tite
De quoi, madame ?
Bérénice
De voir tant de faiblesse en une si grande âme !
Si j'avais droit par là de vous moins estimer,
Je cesserais peut-être aussi de vous aimer.
Tite
Ordonnez donc enfin ce qu'il faut que je fasse.
Bérénice
S'il faut partir demain, je ne veux qu'une grâce :
Que ce soit vous, seigneur, qui le veuillez pour moi,
Et non votre sénat qui m'en fasse la loi.
Faites-lui souvenir, quoi qu'il craigne ou projette,
Que je suis son amie, et non pas sa sujette ;
Que d'un tel attentat notre rang est jaloux,
Et que tout mon amour ne m'asservit qu'à vous.
Tite
Mais peut-être, madame…
Bérénice
Il n'est point de peut-être,
Seigneur : s'il en décide, il se fait voir mon maître ;
Et dût-il vous porter à tout ce que je veux,
Je ne l'ai point choisi pour juge de mes vœux.