Acte III - Scène IV



(Philiste, Dorante, Cliton)

Philiste
Ami, notre bonheur passe notre espérance.
Vous avez compagnie ! Ah ! Voyons, s'il vous plaît.

Dorante
Laissez-les s'échapper, je vous dirai qui c'est.
Ce n'est qu'une lingère : allant en Italie,
Je la vis en passant, et la trouvai jolie :
Nous fîmes connaissance, et me sachant ici,
Comme vous le voyez, elle en a pris souci.

Philiste
Vous trouvez en tous lieux d'assez bonnes fortunes.

Dorante
Celle-ci pour le moins n'est pas des plus communes.

Philiste
Elle vous semble belle, à ce compte ?

Dorante
À ravir.

Philiste
Je n'en suis point jaloux.

Dorante
M'y voulez-vous servir ?

Philiste
Je suis trop maladroit pour un si noble rôle.

Dorante
Vous n'avez seulement qu'à dire une parole.

Philiste
Qu'une ?

Dorante
Non. Cette nuit j'ai promis de la voir,
Sûr que vous obtiendrez mon congé pour ce soir.
Le concierge est à vous.

Philiste
C'est une affaire faite.

Dorante
Quoi ! vous me refusez un mot que je souhaite ?

Philiste
L'ordre, tout au contraire, en est déjà donné,
Et votre esprit trop prompt n'a pas bien deviné.
Comme je vous quittais avec peine à vous croire,
Quatre de mes amis m'ont conté votre histoire :
Ils marchaient après vous deux ou trois mille pas,
Ils vous ont vu courir, tomber le mort à bas,
L'autre vous démonter, et fuir en diligence ;
Ils ont vu tout cela de sur une éminence,
Et n'ont connu personne, étant trop éloignés.
Voilà, quoi qu'il en soit, tous nos procès gagnés,
Et plus tôt de beaucoup que je n'osais prétendre ;
Je n'ai point perdu temps, et les ai fait entendre,
Si bien que, sans chercher d'autre éclaircissement,
Vos juges m'ont promis votre élargissement.
Mais quoiqu'il soit constant qu'on vous prend pour un autre,
Il faudra caution, et je serai la vôtre :
Ce sont formalités que pour vous dégager
Les juges, disent-ils, sont tenus d'exiger ;
Mais sans doute ils en font ainsi que bon leur semble.
Tandis, ce soir chez moi nous souperons ensemble ;
Dans un moment ou deux vous y pourrez venir ;
Nous aurons tout loisir de nous entretenir,
Et vous prendez le temps de voir votre lingère.
Ils m'ont dit toutefois qu'il serait nécessaire
De coucher, pour la forme, un moment en prison,
Et m'en ont sur-le-champ rendu quelque raison ;
Mais c'est si peu mon jeu que de telles matières,
Que j'en perds aussitôt les plus belles lumières.
Vous sortirez demain, il n'est rien de plus vrai :
C'est tout ce que j'en aime, et tout ce que j'en sais.

Dorante
Que ne vous dois-je point pour de si bons offices !

Philiste
Ami, ce ne sont là que de petits services ;
Je voudrais pouvoir mieux, tout me serait fort doux.
Je vais chercher du monde à souper avec vous.
Adieu. Je vous attends au plus tard dans une heure.

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