Acte V - Scène V
(Dorante, Philiste, Cléandre, Mélisse, Lyse, Cliton)
Cléandre
Ma sœur, auriez-vous cru… ? Vous montrez peu de joie ;
En si bon entretien qui vous peut attrister ?
Mélisse (, à Cléandre)
J'en connais le sujet, vous pouvez l'écouter.
(à Philiste.)
Vous m'aimez, je l'ai su de votre propre bouche.
Je l'ai su de Dorante, et votre amour me touche,
Si trop peu pour vous rendre un amour tout pareil,
Assez pour vous donner un fidèle conseil :
Ne vous obstinez plus à chérir une ingrate ;
J'aime ailleurs, c'est en vain qu'un faux espoir vous fla tte ;
J'aime, et je suis aimée, et mon frère y consent ;
Mon choix est aussi beau que mon amour puissant,
Vous l'auriez fait pour moi, si vous étiez mon frère.
C'est Dorante, en un mot, qui seul a pu me plaire.
Ne me demandez point ni quelle occasion,
Ni quel temps entre nous a fait cette union,
S'il la faut appeler ou surprise, ou constance :
Je ne vous en puis dire aucune circonstance ;
Contentez-vous de voir que mon frère aujourd'hui
L'estime et l'aime assez pour le loger chez lui,
Et d'apprendre de moi que mon cœur se propose
Le change et le tombeau pour une même chose.
Lorsque notre destin nous semblait le plus doux,
Vous l'avez obligé de me parler pour vous ;
Il l'a fait, et s'en va pour vous quitter la place.
Jugez par ce discours quel malheur nous menace :
Voilà cet accident qui le fait retirer ;
Voilà ce qui le trouble, et qui me fait pleurer ;
Voilà ce que je crains ; et voilà les alarmes
D'où viennent ses soupirs, et d'où naissent mes larmes.
Philiste
Ce n'est pas là, Dorante, agir en cavalier :
Sur ma parole encor vous êtes prisonnier,
Votre liberté n'est qu'une prison plus large,
Et je réponds de vous s'il survient quelque charge ;
Vous partez cependant, et sans m'en avertir !
Rentrez dans la prison dont vous vouliez sortir.
Dorante
Allons, je suis tout prêt d'y laisser une vie
Plus digne de pitié qu'elle n'était d'envie ;
Mais, après le bonheur que je vous ai cédé,
Je mériterais peut-être un plus doux procédé.
Philiste
Un ami tel que vous n'en mérite point d'autre.
Je vous dis mon secret, vous me cachez le vôtre,
Et vous ne craignez point d'irriter mon courroux,
Lorsque vous me jugez moins généreux que vous !
Vous pouvez me céder un objet qui vous aime,
Et j'ai le cœur trop bas pour vous traiter de même,
Pour vous en céder un à qui l'amour me rend
Sinon trop mal voulu, du moins indifférent !
Si vous avez pu naître et noble et magnanime,
Vous ne me deviez pas tenir en moindre estime :
Malgré notre amitié, je m'en dois ressentir.
Rentrez dans la prison dont vous vouliez sortir.
Cléandre
Vous prenez pour mépris son trop de déférence,
Dont il ne fut tirer qu'une pleine assurance
Qu'un ami si parfait, que vous osez blâmer,
Vous aime plus que lui, sans vous moins estimer.
Si pour lui votre foi sert aux juges d'otage,
Permettez qu'auprès d'eux la mienne la dégage,
Et sortant du péril d'en être inquiété,
Remettez-lui, Monsieur, toute sa liberté ;
Ou, si mon mauvais sort vous rend inexorable,
Au lieu de l'innocent arrêtez le coupable :
C'est moi qui me sus hier sauver sur son cheval
Après avoir donné la mort à mon rival.
Ce duel fut l'effet de l'amour de Climène,
Et Dorante sans vous se fût tiré de peine,
Si devant le prévôt son cœur trop généreux
N'eût voulu méconnaître un homme malheureux.
Philiste
Je ne demande plus quel secret a pu faire
Et l'amour de la sœur et l'amitié du frère :
Ce qu'il a fait pour vous est digne de v os soins,
Vous lui devez beaucoup, vous ne rendez pas moins ;
D'un plus haut sentiment la vertu n'est capable ;
Et puisque ce duel vous avait fait coupable,
Vous ne pouviez jamais envers un innocent
Etre plus obligé ni plus reconnaissant.
Je ne m'oppose point à votre gratitude,
Et si je vous ai mis en quelque inquiétude,
Si d'un si prompt départ j'ai paru me piquer,
Vous ne m'entendiez pas, et je vais m'expliquer :
On nomme une prison le nœud de l'hyménée ;
L'amour même a des fers dont l'âme est enchaînée ;
Vous les rompiez pour moi, je n'y puis consentir :
Rentrez dans la prison dont vous vouliez sortir.
Dorante
Ami, c'est là le but qu'avait votre colère ?
Philiste
Ami, je fais bien moins que vous ne vouliez faire.
Cléandre
Comme à lui je vous dois et la vie et l'honneur.
Mélisse
Vous m'avez fait trembler pour croître mon bonheur.
Philiste (, à Mélisse.)
J'ai voulu voir vos pleurs pour mieux voir votre flamme,
Et la crainte a trahi les secrets de votre âme.
Mais quittons désormais des compliments si vains.
(à Cléandre.)
Votre secret, Monsieur, est sûr entre me s mains ;
Recevez-moi pour tiers d'une amitié si belle,
Et croyez qu'à l'envi je vous serai fidèle.
Cher ami, cependant connoissez-vous ceci ?
Il lui montre Le Menteur imprimé
Dorante
Oui, je sais ce que c'est ; vous en êtes aussi :
Un peu moins que le mien votre nom s'y fait lire ;
Et si Cliton dit vrai, nous aurons de quoi rire.
C'est une comédie où, pour parler sans fard,
Philiste, ainsi que moi, doit avoir quelque part :
Au sortir d'écolier, j'eus certaine aventure
Qui me met là-dedans en fort bonne posture ;
On la joue au Marais, sous le nom du Menteur.
Cliton
Gardez que celle-ci n'aille jusqu'à l'auteur,
Et que pour une suite il n'y trouve matière ;
La seconde, à mon gré, vaudrait bien la première.
Dorante
Fais-en ample mémoire, et va le lui porter ;
Nous prendrons du plaisir à la représenter :
Entre les gens d'honneur on fait de ces parties,
Et je tiens celle-ci pour des mieux assorties.
Philiste
Le sujet serait beau.
Dorante
Vous n'en savez pas tout.
Mélisse
Quoi ? jouer nos amours ainsi de bout en bout !
Cléandre
La majesté des rois, que leur cour idolâtre,
Sans perdre son éclat, monte sur le théâtre :
C'est gloire, et non pas honte ; et pour moi, j'y consens.
Philiste
S'il vous en faut encor des motifs plus puissants,
Vous pouvez effacer avec cette seconde
Les bruits que la première a laissés dans le monde,
Et ce cœur généreux n'a que trop d'intérêt
Qu'elle fasse partout connaître ce qu'il est.
Cliton
Mais peut-on l'ajuster dans les vingt et quatre heures ?
Dorante
Qu'importe ?
Cliton
À mon avis, ce sont bien les meilleures ;
Car, grâces au bon Dieu, nous nous y connaissons ;
Les poètes au parterre en font tant de leçons,
Et la cette science est si bien éclaircie,
Que nous savons que c'est que de péripétie,
Catastase, épisode, unité, dénoûment,
Et quand nous en parlons, nous parlons congrûment.
Donc, en termes de l'art, je crains que votre histoire
Soit peu juste au théâtre, et la preuve est notoire :
Si le sujet est rare, il est irrégulier ;
Car vous êtes le seul qu'on y voit marier.
Dorante
L'auteur y peut mettre ordre avec fort peu de peine :
Cléandre en même temps épousera Climène ;
Et pour Philiste, il n'a qu'à me faire une sœur
Dont il recevra l'offre avec joie et douceur ;
Il te pourra toi-même assortir avec Lyse.
Cliton
L'invention est juste, et me semble de mise.
Ne reste plus qu'un point touchant votre cheval :
Si l'auteur n'en rend compte, elle finira mal ;
Les esprits délicats y trouveront à dire
Et feront de la pièce entre eux une satire,
Si de quoi qu'on y parle, autant gros que menu,
La fin ne leur apprend ce qu'il est devenu.
Cléandre
De peur que dans la ville il me fît reconnaître,
Je le laissai bientôt libre de chercher maître ;
Mais pour mettre la pièce à sa perfection,
L'auteur, à ce défaut, jouera d'invention.
Dorante
Nous perdons trop de temps autour de sa doctrine ;
Qu'à son choix, comme lui, tout le monde y raffine ;
Allons voir comme ici l'auteur m'a figuré,
Et rire à mes dépens après avoir pleuré.
Cliton (, seul)
Tout change, et de la joie on passe à la tristesse ;
Aux plus grands déplaisirs succède l'allégresse.
Ceux qui sont las debout se peuvent aller seoir.
Je vous donne en passant cet avis, et bonsoir.
Cliton (, seul)
Tout change, et de la joie on passe à la tristesse ;
Aux plus grands déplaisirs succède l'allégresse.
Ceux qui sont las debout se peuvent aller seoir.
Je vous donne en passant cet avis, et bonsoir.