Acte V - Scène première



(Lyse, Cliton)

Cliton
Nous voici bien logés, Lyse, et sans raillerie,
Je ne souhaitais pas meilleure hôtellerie.
Enfin nous voyons clair à ce que nous faisons,
Et je puis à loisir te conter mes raisons.

Lyse
Tes raisons ? C'est-à-dire autant d'extravagances.

Cliton
Tu me connais déjà ?

Lyse
Bien mieux que tu ne penses.

Cliton
J'en débite beaucoup.

Lyse
Tu sais les prodiguer.

Cliton
Mais sais-tu que l'amour me fait extravaguer ?

Lyse
En tiens-tu donc pour moi ?

Cliton
J'en tiens, je le confesse.

Lyse
Autant comme ton maître en tient pour ma maîtresse ?

Cliton
Non pas encor si fort, mais dès ce même instant
Il ne tiendra qu'à toi que je n'en tienne autant :
Tu n'as qu'à l'imiter pour être autant aimée.

Lyse
Si son âme est en feu, la mienne est enflammée :
Et je crois jusqu'ici ne l'imiter pas mal.

Cliton
Tu manques, à vrai dire, encore au principal.

Lyse
Ton secret est obscur.

Cliton
Tu ne veux pas l'entendre ;
Vois quelle est sa méthode, et tâche de la prendre ;
Ses attraits tout-puissants ont des avant-coureurs
Encor plus souverains à lui gagner les cœurs :
Mon maître se rendit à ton premier message.
Ce n'est pas qu'en effet je n'aime ton visage,
Mais l'amour aujourd'hui dans les cœurs les plus vains
Entre moins par les yeux qu'il ne fait par les mains,
Et quand l'objet aimé voit les siennes garnies,
Il voit en l'autre objet des grâces infinies.
Pourrais-tu te résoudre à m'attaquer ainsi ?

Lyse
J'en voudrais être quitte à moins d'un grand merci.

Cliton
Ecoute : je n'ai pas une âme intéressée,
Et je te veux ouvrir le fond de ma pensée.
Aimons-nous but à but, sans soupçon, sans rigueur,
Donnons âme pour âme, et rendons cœur pour cœur.

Lyse
J'en veux bien à ce prix.

Cliton
Donc, sans plus de langage,
Tu veux bien m'en donner quelques baisers pour gage ?

Lyse
Pour l'âme et pour le cœur, tant que tu les voudras,
Mais pour le bout du doigt, ne le demande pas :
Un amour délicat hait ces faveurs grossières,
Et je t'ai bien donné des preuves plus entières.
Pourquoi me demander des gages superflus ?
Ayant l'âme et le cœur, que te faut-il de plus ?

Cliton
J'ai le goût fort grossier en matière de flamme :
Je sais que c'est beaucoup qu'avoir le cœur et l'âme,
Mais je ne sais pas moins qu'on a fort peu de fruit
Et de l'âme et du cœur, si le reste ne suit.

Lyse
Eh quoi ! Pauvre ignorant, ne sais-tu pas encore
Qu'il faut suivre l'humeur de celle qu'on adore,
Se rendre complaisant, vouloir ce qu'elle veut ?

Cliton
Si tu n'en veux changer, c'est ce qui ne se peut.
De quoi me guériraient ces gages invisibles ?
Comme j'ai l'esprit lourd, je les veux plus sensibles ;
Autrement, marché nul.

Lyse
Ne désespère point :
Chaque chose à son ordre, et tout vient à son point ;
Peut-être avec le temps nous pourrons-nous connaître.
Apprends-moi cependant qu'est devenu ton maître.

Cliton
Il est avec Philiste allé remercier
Ceux que pour son affaire il a voulu prier.

Lyse
Je crois qu'il est ravi de voir que sa maîtresse
Est la sœur de Cléandre, et devient son hôtesse ?

Cliton
Il a raison de l'être, et de tout espérer.

Lyse
Avec toute assurance il peut se déclarer :
Autant comme la sœur le frère le souhaite,
Et s'il aime en effet, je tiens la chose faite.

Cliton
Ne doute point s'il l'aime après qu'il meurt d'amour.

Lyse
Il semble toutefois fort triste à son retour.

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