Acte II - Scène IV
(Philiste, Dorante, Cliton dans la prison.)
Dorante
Voilà, mon cher ami, la véritable histoire
D'une aventure étrange et difficile à croire.
Mais puisque je vous vois, mon sort est assez doux.
Philiste
L'aventure est étrange, et bien digne de vous,
Et, si je n'en voyais la fin trop véritable,
J'aurais bien de la peine à la trouver croyable :
Vous me seriez suspect, si vous étiez ailleurs.
Cliton
Ayez pour lui, Monsieur, des sentiments meilleurs :
Il s'est bien converti dans un si long voyage ;
C'est tout un autre esprit sous le même visage,
Et tout ce qu'il débite est pure vérité,
S'il ne ment quelquefois par générosité.
C'est le même qui prit Clarice pour L ucrèce,
Qui fit jaloux Alcippe avec sa noble adresse,
Et, malgré tout cela, le même toutefois,
Depuis qu'il est ici n'a menti qu'une fois.
Philiste
En voudrais-tu jurer ?
Cliton
Oui, Monsieur, et j'en jure
Par le dieu des menteurs, dont il est créature,
Et, s'il vous faut encore un serment plus nouveau,
Par l'hymen de Poitiers et le festin sur l'eau.
Philiste
Laissant là ce badin, ami, je vous confesse
Qu'il me souvient toujours de vos traits de jeunesse :
Cent fois en cette ville aux meilleures maisons,
J'en ai fait un bon conte en déguisant les noms ;
J'en ai ri de bon cœur, et j'en ai bien fait rire,
Et quoi que maintenant je vous entende dire,
Ma mémoire toujours me les vient présenter
Et m'en fait un rapport qui m'invite à douter.
Dorante
Formez en ma faveur de plus saines pensées :
Ces petites humeurs sont aussitôt passées ;
Et l'air du monde change en bonnes qualités
Ces teintures qu'on prend aux universités.
Philiste
Dès lors, à cela près, vous étiez en estime
D'avoir une âme noble et grande et magnanime.
Cliton
Je le disais dès lors : sans cette qualité,
Vous n'eussiez pu jamais le payer de bonté.
Dorante
Ne te tairas-tu point ?
Cliton
Dis-je rien qu'il ne sache ?
Et fais-je à votre nom quelque nouvelle tache ?
N'était-il pas, Monsieur, avec Alcippe et vous
Quand ce festin en l'air le rendit si jaloux ?
Lui qui fut le témoin du conte que vous fîtes,
Lui qui vous sépara lorsque vous vous battîtes,
Ne sait-il pas encor les plus rusés détours
Dont votre esprit adroit bricola vos amours ?
Philiste
Ami, ce flux de langue est trop grand pour se taire.
Mais, sans plus l'écouter, parlons de votre affaire :
Elle me semble aisée, et j'ose me vanter
Qu'assez facilement je pourrai l'emporter ;
Ceux dont elle dépend sont de ma connaissance,
Et même à la plupart je touche de naissance ;
Le mort était d'ailleurs fort peu considéré,
Et chez les gens d'honneur on ne l'a point pleuré.
Sans perdre plus de temps, souffrez que j'aille apprendre
Pour en venir à bout quel chemin il faut prendre.
Ne vous attristez point cependant en prison :
On aura soin de vous comme en votre maison ;
Le concierge en a l'ordre, il tient de moi sa place,
Et, sitôt que je parle, il n'est rien qu'il ne fasse.
Dorante
Ma joie est de vous voir, vous me l'allez ravir.
Philiste
Je prends congé de vous pour vous aller servir.
Cliton divertira votre mélancolie.