Acte II - Scène première



(Mélisse, Lyse)

Mélisse (, tenant une lettre ouverte en sa main.)
Certes, il écrit bien, sa lettre est excellente.

Lyse
Madame, sa personne est encor plus galante :
Tout est charmant en lui, sa grâce, son maintien.

Mélisse
Il semble que déjà tu lui veuilles du bien.

Lyse
J'en trouve, à dire vrai, la rencontre si belle
Que je voudrais l'aimer, si j'étais demoiselle :
Il est riche, et de plus il demeure à Paris,
Où des dames, dit-on, est le vrai paradis ;
Et, ce qui vaut bien mieux que toutes ces richesses,
Les maris y sont bons, et les femmes maîtresses ;
Je vous le dis encor, je m'y passerais bien,
Et si j'étais son fait, il serait fort le mien.

Mélisse
Tu n'es pas dégoûtée. Enfin, Lyse, sans rire,
C'est un homme bien fait ?

Lyse
Plus que je ne puis dire.

Mélisse
À sa lettre il paraît qu'il a beaucoup d'esprit.
Mais, dis-moi, parle-t-il aussi bien qu'il écrit ?

Lyse
Pour lui faire en discours montrer son éloquence,
Il lui faudrait des gens de plus de conséquence ;
C'est à vous d'éprouver ce que vous demandez.

Mélisse
Et que croit-il de moi ?

Lyse
Ce que vous lui mandez :
Que vous l'avez tantôt vu par votre fenêtre,
Que vous l'aimez déjà.

Mélisse
Cela pourrait bien être.

Lyse
Sans l'avoir jamais vu ?

Mélisse
J'écris bien sans le voir.

Lyse
Mais vous suivez d'un frère un absolu pouvoir,
Qui, vous ayant conté par quel bonheur étrange
Il s'est mis à couvert de la mort de Florange,
Se sert de cette feinte, en cachant votre nom,
Pour lui donner secours dedans cette prison.
L'y voyant en sa place, il fait ce qu'il doit faire.

Mélisse
Je n'écrivais tantôt qu'à dessein de lui plaire.
Mais, Lyse, maintenant j'ai pitié de l'ennui
D'un homme si bien fait qui souffre pour autrui,
Et, par quelques motifs que je vienne d'écrire,
Il est de mon honneur de ne m'en pas dédire.
La lettre est de ma main, elle parle d'amour ;
S'il ne sait qui je suis, il peut l'apprendre un jour.
Un tel gage m'oblige à lui tenir parole :
Ce qu'on met par écrit passe une amour frivole.
Puisqu'il a du mérite, on ne m'en peut blâmer,
Et je lui dois mon cœur, s'il daigne l'estimer.
Je m'en forme en idée une image si rare
Qu'elle pourrait gagner l'âme la plus barbare :
L'amour en est le peintre, et ton rapport flatteur
En fournit les couleurs à ce doux enchanteur.

Lyse
Tout comme vous l'aimez vous verrez qu'il vous aime.
Si vous vous engagez, il s'engage de même,
Et se forme de vous un tableau si parfait,
Que c'est lettre pour lettre, et portrait pour portrait.
Il faut que votre amour plaisamment s'entretienne :
Il sera votre idée, et vous serez la sienne.
L'alliance est mignarde, et cette nouveauté,
Surtout dans une lettre, aura grande beauté,
Quand vous y souscrirez, pour Dorante ou Mélisse :
"Votre très humble idée à vous rendre service."
Vous vous moquez, madame, et loin d'y consentir,
Vous n'en parlez ainsi que pour vous divertir.

Mélisse
Je ne me moque point.

Lyse
Et que fera, madame,
Cet autre cavalier dont vous possédez l'âme,
Votre amant ?

Mélisse
Qui ?

Lyse
Philiste.

Mélisse
Ah ! Ne présume pas
Que son cœur soit sensible au peu que j'ai d'appas :
Il fait mine d'aimer, mais sa galanterie
N'est qu'un amusement et qu'une raillerie

Lyse
Il est riche, et parent des premiers de Lyon.

Mélisse
Et c'est ce qui le porte à plus d'ambition.
S'il me voit quelquefois, c'est comme par surprise ;
Dans ses civilités on dirait qu'il méprise,
Qu'un seul mot de sa bouche est un rare bonheur,
Et qu'un de ses regards est un excès d'honneur ;
L'amour même d'un roi me serait importune,
S'il fallait la tenir à si haute fortune.
La sienne est un trésor qu'il fait bien d'épargner :
L'avantage est trop grand, j'y pourrais trop gagner.
Il n'entre point chez nous ; et quand il me rencontre,
Il semble qu'avec peine à mes yeux il se montre,
Et prend l'occasion avec une froideur
Qui craint en me parlant d'abaisser sa grandeur.

Lyse
Peut-être il est timide, et n'ose davantage.

Mélisse
S'il craint, c'est que l'amour trop avant ne l'engage.
Il voit souvent mon frère, et ne parle de rien.

Lyse
Mais vous le recevez, ce me semble, assez bien ?

Mélisse
Comme je ne suis pas en amour des plus fines,
Faute d'autre j'en souffre et je lui rends ses mines,
Mais je commence à voir que de tels cajoleurs
Ne font qu'effaroucher les partis les meilleurs,
Et ne dois plus souffrir qu'avec cette grimace
D'un véritable amant il occupe la place.

Lyse
Je l'ai vu pour vous voir faire beaucoup de tours.

Mélisse
Qui l'empêche d'entrer et me voir tous les jours ?
Cette façon d'agir est-elle plus polie ?
Croit-il… ?

Lyse
Les amoureux ont chacun leur folie :
La sienne est de vous voir avec tant de respect
Qu'il passe pour superbe et vous devient suspect ;
Et la vôtre, un dégoût de cette retenue
Qui vous fait mépriser la personne connue,
Pour donner votre estime, et chercher avec soin
L'amour d'un inconnu, parce qu'il est de loin.

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