ACTE III - Scène IV
(DORANTE, ERGASTE.)
DORANTE(un moment seul.)
Ergaste ! dit-il ; connaît-il Angélique dans ce pays-ci ?
ERGASTE(rêvant.)
C'est Dorante lui-même.
DORANTE
Le voici. Me trompé-je, est-ce vous, monsieur ?
ERGASTE
Oui, mon neveu.
DORANTE
Par quelle aventure vous trouvé-je dans ce pays-ci ?
ERGASTE
J'y ai quelques amis que j'y suis venu voir ; mais qu'y venez-vous faire vous-même ? Vous m'avez tout l'air d'y être en bonne fortune ; je viens de vous y voir parler à un domestique qui vous apporte quelque réponse, ou qui vous y ménage quelque entrevue.
DORANTE
Je ferais scrupule de vous rien déguiser. Il y est question d'amour, monsieur, j'en conviens.
ERGASTE
Je m'en doutais. On parle ici d'une très aimable fille, qui s'appelle Angélique. Est-ce à elle que s'adressent vos vœux ?
DORANTE
C'est à elle-même.
ERGASTE
Vous avez donc accès chez la mère ?
DORANTE
Point du tout, je ne la connais pas ; et c'est par hasard que j'ai vu sa fille.
ERGASTE
Cet engagement-là ne vous réussira pas, Dorante ; vous y perdez votre temps ; car Angélique est extrêmement riche : on ne la donnera pas à un homme sans bien.
DORANTE
Aussi la quitterais-je, s'il n'y avait que son bien qui m'arrêtât ; mais je l'aime et j'ai le bonheur d'en être aimé.
ERGASTE
Vous l'a-t-elle dit positivement ?
DORANTE
Oui, je suis sûr de son cœur.
ERGASTE
C'est beaucoup ; mais il vous reste encore un autre inconvénient ; c'est qu'on dit que sa mère a pour elle actuellement un riche parti en vue.
DORANTE
Je ne le sais que trop, Angélique m'en a instruit.
ERGASTE
Et dans quelle disposition est-elle là-dessus ?
DORANTE
Elle est au désespoir ! Et dit-on quel homme est ce rival ?
ERGASTE
Je le connais ; c'est un honnête homme.
DORANTE
Il faut du moins qu'il soit bien peu délicat s'il épouse une fille qui ne pourra le souffrir ; et puisque vous le connaissez, monsieur, ce serait en vérité lui rendre service, aussi bien qu'à moi, que de lui apprendre combien on le hait d'avance.
ERGASTE
Mais on prétend qu'il s'en doute un peu.
DORANTE
Il s'en doute et ne se retire pas ! Ce n'est pas là un homme estimable.
ERGASTE
Vous ne savez pas encore le parti qu'il prendra.
DORANTE
Si Angélique veut m'en croire, je ne le craindrai plus ; mais, quoi qu'il arrive, il ne peut l'épouser qu'en m'ôtant la vie.
ERGASTE
Du caractère dont je le connais, je ne crois pas qu'il voulût vous ôter la vôtre, ni que vous fussiez d'humeur à attaquer la sienne ; et si vous lui disiez poliment vos raisons, je suis persuadé qu'il y aurait égard. Voulez-vous le voir ?
DORANTE
C'est risquer beaucoup. Peut-être avez-vous meilleure opinion de lui qu'il ne le mérite. S'il allait me trahir ? Et d'ailleurs, où le trouver ?
ERGASTE
Oh ! rien de plus aisé ; car le voilà tout porté pour vous entendre.
DORANTE
Quoi ! c'est vous, monsieur ?
ERGASTE
Vous l'avez dit, mon neveu.
DORANTE
Je suis confus de ce qui m'est échappé ; et vous avez raison, votre vie est bien en sûreté.
ERGASTE
La vôtre ne court pas plus de hasard, comme vous voyez.
DORANTE
Elle est plus à vous qu'à moi ; je vous dois tout, et je ne dispute plus Angélique.
ERGASTE
L'attendez-vous ici ?
DORANTE
Oui, monsieur ; elle doit y venir ; mais je ne la verrai que pour lui apprendre l'impossibilité où je suis de la revoir davantage.
ERGASTE
Point du tout, allez votre chemin. Ma façon d'aimer est plus tranquille que la vôtre ; j'en suis plus le maître, et je me sens touché de ce que vous me dites.
DORANTE
Quoi ! vous me laissez la liberté de poursuivre ?
ERGASTE
Liberté tout entière. Continuez, vous dis-je ; faites comme si vous ne m'aviez pas vu, et ne dites ici à personne qui je suis ; je vous le défends bien. Voici Angélique ; elle ne m'aperçoit pas encore ; je vais lui dire un mot en passant, ne vous alarmez point.