ACTE II - Scène III
(ANGÉLIQUE, DORANTE, LISETTE.)
ANGÉLIQUE
Quoi ! monsieur est ici ! Je ne m'attendais pas à l'y trouver.
DORANTE
J'allais me retirer, madame. Lisette vous le dira ; je n'avais garde de me montrer. Le mépris que vous avez fait de ma lettre m'apprend combien je vous suis odieux.
ANGÉLIQUE
Odieux ! Ah ! j'en suis quitte à moins. Pour indifférent, passe, et très indifférent. Quant à votre lettre, je l'ai reçue comme elle le méritait, et je ne croyais pas qu'on eût droit d'écrire aux gens qu'on a vus par hasard. J'ai trouvé cela fort singulier, surtout avec une personne de mon sexe. M'écrire, à moi, monsieur ! D'où vous est venue cette idée ? Je n'ai pas donné lieu à votre hardiesse, ce me semble. De quoi s'agit-il entre vous et moi ?
DORANTE
De rien pour vous, madame ; mais de tout pour un malheureux que vous accablez.
ANGÉLIQUE
Voilà des expressions aussi déplacées qu'inutiles ; et je vous avertis que je ne les écoute point.
DORANTE
Eh ! de grâce, madame, n'ajoutez point la raillerie aux discours cruels que vous me tenez. Méprisez ma douleur ; mais ne vous en moquez pas. Je ne vous exagère point ce que je souffre.
ANGÉLIQUE
Vous m'empêchez de parler à Lisette, monsieur ; ne m'interrompez point.
LISETTE
Peut-on, sans être trop curieuse, vous demander à qui vous en avez ?
ANGÉLIQUE
À vous ; je ne suis venue ici que parce que je vous cherchais ; voilà ce qui m'amène.
DORANTE
Voulez-vous que je me retire, madame ?
ANGÉLIQUE
Comme vous voudrez, monsieur.
DORANTE
Ciel !
ANGÉLIQUE
Attendez pourtant ; puisque vous êtes là, je serai bien aise que vous sachiez ce que j'ai à vous dire. Vous m'avez écrit, vous avez lié conversation avec moi, vous pourriez vous en vanter, cela n'arrive que trop souvent ; et je serais charmée que vous appreniez ce que j'en pense.
DORANTE
Me vanter, moi, madame ! De quel affreux caractère me faites-vous là ? Je ne réponds rien pour ma défense, je n'en ai pas la force. Si ma lettre vous a déplu, je vous en demande pardon ; n'en présumez rien contre mon respect ; celui que j'ai pour vous m'est plus cher que la vie, et je vous le prouverai en me condamnant à ne vous plus revoir, puisque je vous déplais.
ANGÉLIQUE
Je vous ai déjà dit que je m'en tenais à l'indifférence. Revenons à Lisette.
LISETTE
Voyons, puisque c'est mon tour pour être grondée. Je ne saurais me vanter de rien, moi ; je ne vous ai écrit ni rencontrée ; quel est mon crime ?
ANGÉLIQUE
Dites-moi ; il n'a pas tenu à vous que je n'eusse des dispositions favorables pour monsieur ; c'est par vos soins qu'il a eu avec moi toutes les entrevues où vous m'avez amenée, sans me le dire ; car c'est sans me le dire ; en avez-vous senti les conséquences ?
LISETTE
Non, je n'ai pas eu cet esprit-là.
ANGÉLIQUE
Si monsieur, comme je l'ai déjà dit, et à l'exemple de presque tous les jeunes gens, était homme à faire trophée d'une aventure dont je suis tout à fait innocente, où en serais-je ?
LISETTE(à Dorante.)
Remerciez, monsieur.
DORANTE
Je ne saurais parler.
ANGÉLIQUE
Si, de votre côté, vous êtes de ces filles intéressées qui ne se soucient pas de faire tort à leurs maîtresses pourvu qu'elles y trouvent leur avantage, que ne risquerais-je pas ?
LISETTE
Oh ! je répondrai, moi ; je n'ai pas perdu la parole : si monsieur est un homme d'honneur à qui vous faites injure ; si je suis une fille généreuse, qui ne gagne à tout cela que le joli compliment dont vous m'honorez, où en est avec moi votre reconnaissance, hein ?
ANGÉLIQUE
D'où vient donc que vous avez si bien servi Dorante ? Quel peut avoir été le motif d'un zèle si vif ? Quels moyens a-t-il employés pour vous faire agir ?
LISETTE
Je crois vous entendre ; vous gageriez, j'en suis sûre, que j'ai été séduite par des présents ? Gagez, madame, faites-moi cette galanterie-là ; vous perdrez, et ce sera une manière de donner tout à fait noble.
DORANTE
Des présents, madame ! Que pourrais-je lui donner qui fût digne de ce que je lui dois ?
LISETTE
Attendez, monsieur ; disons pourtant la vérité. Dans vos transports, vous m'avez promis d'être extrêmement reconnaissant, si jamais vous aviez le bonheur d'être à madame ; il faut convenir de cela.
ANGÉLIQUE
Eh ! je serais la première à vous donner moi-même.
DORANTE
Que je suis à plaindre d'avoir livré mon cœur à tant d'amour !
LISETTE
J'entre dans votre douleur, monsieur ; mais faites comme moi. Je n'avais que de bonnes intentions ; j'aime ma maîtresse, tout injuste qu'elle est ; je voulais unir son sort à celui d'un homme qui lui aurait rendu la vie heureuse et tranquille ; mes motifs lui sont suspects, et j'y renonce. Imitez-moi, privez-vous de votre côté du plaisir de voir Angélique, sacrifiez votre amour à ses inquiétudes ; vous êtes capable de cet effort-là.
ANGÉLIQUE
Soit.
LISETTE(à Dorante, à part.)
Retirez-vous pour un moment.
DORANTE
Adieu, madame ; je vous quitte, puisque vous le voulez. Dans l'état où vous me jetez, la vie m'est à charge ; je pars pénétré d'une affliction mortelle, et je n'y résisterai point ; jamais on n'eut tant d'amour, tant de respect que j'en ai pour vous ; jamais on n'osa espérer moins de retour. Ce n'est pas votre indifférence qui m'accable, elle me rend justice ; j'en aurais soupiré toute ma vie sans m'en plaindre ; et ce n'était point à moi, ce n'est peut-être à personne à prétendre à votre cœur ; mais je pouvais espérer votre estime, je me croyais à l'abri du mépris, et ni ma passion ni mon caractère n'ont mérité les outrages que vous leur faites.
(Il sort.)