ACTE PREMIER - Scène IV
(DORANTE, LISETTE, LUBIN.)
LISETTE(à Dorante.)
Laissez-moi faire. Ah ! te voilà, Lubin ? à quoi t'amuses-tu là ?
LUBIN
Moi ? D'abord je faisais une promenade, à présent je regarde.
LISETTE
Et que regardes-tu ?
LUBIN
Des oisiaux, deux qui restont, et un qui viant de prendre sa volée, et qui est le plus joli de tous.(Regardant Dorante.)
En v'là un qui est bian joli itout ; et, jarnigué ! ils profiteront bian avec vous ; car vous les sifflez comme un charme, mademoiselle Lisette.
LISETTE
C'est-à-dire que tu nous as vu, Angélique et moi, parler à monsieur ?
LUBIN
Oh ! oui, j'ons tout vu à mon aise ; j'ons mêmement entendu leur petit ramage.
LISETTE
C'est le hasard qui nous a fait rencontrer monsieur, et voilà la première fois que nous le voyons.
LUBIN
Morgué ! qu'elle a bonne meine cette première fois-là ! alle ressemble à la vingtième.
DORANTE
On ne saurait se dispenser de saluer une dame quand on la rencontre, je pense.
LUBIN(riant.)
Ah ! ah ! ah ! vous tirez donc voute révérence en paroles ; vous convarsez depuis un quart d'heure : appelez-vous ça un coup de chapiau ?
LISETTE
Venons au fait. Serais-tu d'humeur d'entrer dans nos intérêts ?
LUBIN
Peut-être qu'oui, peut-être que non ; ce sera suivant les magnières du monde ; il n'y a que ça qui règle ; car j'aime les magnières, moi.
LISETTE
Eh bien ! Lubin, je te prie instamment de nous servir.
DORANTE(lui donnant de l'argent.)
Et moi, je te paye pour cela.
LUBIN
Je vous baille donc la parfarence ; redites voute chance, alle sera pu bonne ce coup-ci que l'autre. D'abord c'est une rencontre, n'est-ce pas ? Ça se pratique ; il n'y a pas de malhonnêteté à rencontrer les parsonnes.
LISETTE
Et puis on se salue.
LUBIN
Et pis queuque bredouille au bout de la révérence ; c'est itou ma coutume ; toujours je bredouille en saluant, et quand ça se passe avec des femmes, faut bian qu'alles répondent deux paroles pour une ; les hommes parlent, les femmes babillent : allez voute chemin ; v'là qui est fort bon, fort raisonnable et fort civil. Oh çà ! la rencontre, la salutation, la demande, la réponse, tout ça est payé ! il n'y a pus qu'à nous accommoder pour le courant.
DORANTE
Voilà pour le courant.
LUBIN
Courez donc tant que vous pourrez ; ce que vous attraperez, c'est pour vous ; je n'y prétends rin, pourvu que j'attrape itou. Sarviteur, il n'y a, morgué ! parsonne de si agriable à rencontrer que vous.
LISETTE
Tu seras donc de nos amis à présent.
LUBIN
Tatigué ! oui, ne m'épargnez pas, toute mon amiquié est à voute sarvice au même prix.
LISETTE
Puisque nous pouvons compter sur toi, veux-tu bien actuellement faire le guet pour nous avertir, en cas que quelqu'un vienne, et surtout madame ?
LUBIN
Que vos parsonnes se tiennent en paix, je vous garantis des passants une lieue à la ronde.
(Il sort.)