ACTE III - Scène première



(MADAME ARGANTE, LUBIN)

MADAME ARGANTE
Personne ne nous voit-il ?

LUBIN
On ne peut pas nous voir, drès que nous ne voyons parsonne.

MADAME ARGANTE
C'est qu'il me semble avoir aperçu là-bas M. Ergaste qui se promène.

LUBIN
Qui ? ce nouviau venu ? Il n'y a pas de danger avec li ; ça ne regarde rin ; ça dort en marchant.

MADAME ARGANTE
N'importe, il faut l'éviter. Voyons ce que tu avais à me dire tantôt et que tu n'as pas eu le temps de m'achever. Est-ce quelque chose de conséquence ?

LUBIN
Jarni, si c'est de conséquence ! il s'agit tant seulement que cet amoureux veut détourner voute fille.

MADAME ARGANTE
Qu'appelles-tu la détourner ?

LUBIN
La loger ailleurs, la changer de chambre : v'là c'en que c'est.

MADAME ARGANTE
Qu'a-t-elle répondu ?

LUBIN
Il n'y a encore rien de décidé ; car voute fille a dit : "Comment, ventregué ! un enlèvement, monsieur, avec une mère qui m'aime tant ! — Bon ! belle amiquié !" a dit Lisette. Voute fille a reparti que c'était une honte, qu'alle vous parlerait, vous émouverait, vous embrasserait les jambes ; et pis chacun a tiré de son côté, et moi du mian.

MADAME ARGANTE
Je saurai y mettre ordre. Dorante va-t-il se rendre ici ?

LUBIN
Tatigué, s'il viendra ! Je li ons donné l'ordre de la part de noute damoiselle ; il ne peut pas manquer d'être obéissant, et la chaise de poste est au bout de l'allée.

MADAME ARGANTE
La chaise !

LUBIN
Eh ! voirement oui ! avec une dame entre deux âges, qu'il a mêmement descendue dans l'hôtellerie du village.

MADAME ARGANTE
Et pourquoi l'a-t-il amenée ?

LUBIN
Pour à celle fin qu'alle fasse compagnie à noute damoiselle si alle veut faire un tour dans la chaise ; et pis de là, aller souper en ville, à ce qui m'est avis, selon queuques paroles que j'avons attrapées et qu'ils disiont tout bas.

MADAME ARGANTE
Voilà de furieux desseins ! Adieu, je m'éloigne ; et surtout ne dis point à Lisette que je suis ici.

LUBIN
Je vas donc courir après elle ; mais faut que chacun soit content. Je sis leur commissionnaire itou à ces enfants. Quand vous arriverez, leur dirai-je que vous venez ?

MADAME ARGANTE
Tu ne leur diras pas que c'est moi, à cause de Dorante qui ne m'attendrait pas ; mais seulement que c'est quelqu'un qui approche. (À part.)
Je ne veux pas le mettre entièrement au fait.

LUBIN
Je vous entends ; rien que queuqu'un, sans nommer parsonne. Je ferai voute affaire, noute maîtresse ; enfilez le taillis, stanpendant que je reste pour la manigance.

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