ACTE TROISIÈME - Scène 5



(Alvarès, Gusman, Zamore, Alzire, suite.)

Alvarès (à son fils.)
Tu vois mon bienfaiteur, il est auprès d'Alzire.
(À Zamore,)
Ô toi ! Jeune héros, toi par qui je respire,
Viens, ajoute à ma joie en cet auguste jour,
Viens avec mon cher fils partager mon amour.

Zamore
Qu'entends-je ? Lui, Gusman ! Lui, ton fils, ce
Barbare !

Alzire
Ciel ! Détourne les coups que ce moment prépare.

Alvarès
Dans quel étonnement…

Zamore
Quoi ! Le ciel a permis,
Que ce vertueux père eût cet indigne fils ?

Gusman (à Zamore.)
Esclave, d'où te vient cette aveugle furie ?
Sais-tu bien qui je suis ?

Zamore
Horreur de ma patrie !
Parmi les malheureux que ton pouvoir a faits,
Connais-tu bien Zamore ? Et vois-tu tes forfaits ?

Gusman
Toi !

Alvarès
Zamore !

Zamore
Oui, lui-même, à qui ta barbarie
Voulut ôter l'honneur, et crut ôter la vie ;
Lui que tu fis languir dans des tourments honteux,
Lui dont l'aspect ici te fait baisser les yeux.
Ravisseur de nos biens, tyran de notre empire,
Tu viens de m'arracher le seul bien où j'aspire,
Achève, et de ce fer, trésor de tes climats,
Préviens mon bras vengeur, et préviens ton trépas.
La main, la même main qui t'a rendu ton père,
Dans ton sang odieux pourrait venger la terre :
Et j'aurais les mortels et les dieux pour amis,
En révérant le père et punissant le fils.

Alvarès (à Gusman.)
De ce discours, ô ciel, que je me sens confondre !
Vous sentez-vous coupable, et pouvez-vous répondre ?

Gusman
Répondre à ce rebelle et daigner m'avilir,
Jusqu'à le réfuter, quand je le dois punir ?
Son juste châtiment, que lui-même il prononce,
Sans mon respect pour vous, eût été ma réponse.
(à Alzire,)
Madame, votre cœur doit vous instruire assez,
À quel point en secret ici vous m'offensez ;
Vous, qui, sinon pour moi, du moins pour votre gloire,
Deviez de cet esclave étouffer la mémoire :
Vous, dont les pleurs encore outragent votre époux,
Vous, que j'aimais assez pour en être jaloux.

Alzire ( à Gusman,)
Cruel !
(à Alvarès,)
Et vous, seigneur ! Mon protecteur son père,
(à Zamore,)
Toi ! Jadis mon espoir en un temps plus prospère,
Voyez le joug horrible où mon sort est lié,
Et frémissez tous trois d'horreur et de pitié.
(en montrant Zamore,)
Voici l'amant, l'époux que me choisit mon père,
Avant que je connusse un nouvel hémisphère,
Avant que de l'Europe on nous portât des fers,
Le bruit de son trépas perdit cet univers.
Je vis tomber l'empire où régnaient mes ancêtres,
Tout changea sur la terre, et je connus des maîtres.
Mon père infortuné, plein d'ennuis et de jours,
Au dieu que vous servez eut à la fin recours :
C'est ce dieu des chrétiens, que devant vous j'atteste,
Ses autels sont témoins de mon hymen funeste.
C'est aux pieds de ce dieu, qu'un horrible serment
Me donne au meurtrier qui m'ôta mon amant.
Je connais mal peut-être une loi si nouvelle ;
Mais j'en crois ma vertu, qui parle aussi haut qu'elle.
Zamore, tu m'ès cher ; je t'aime, je le dois :
Mais après mes serments je ne puis être à toi.
Toi, Gusman, dont je suis l'épouse et la victime,
Je ne suis point à toi, cruel ! Après ton crime.
Qui des deux osera se venger aujourd'hui ?
Qui percera ce cœur que l'on arrache à lui ?
Toujours infortunée, et toujours criminelle,
Perfide envers Zamore, à Gusman infidèle,
Qui me délivrera, par un trépas heureux,
De la nécessité de vous trahir tous deux ?
Gusman, du sang des miens, ta main déjà rougie,
Frémira moins qu'un autre à m'arracher la vie.
De l'hymen, de l'amour, il faut venger les droits.
Punis une coupable, et sois juste une fois.

Gusman
Ainsi vous abusez d'un reste d'indulgence,
Que ma bonté trahie oppose à votre offense ;
Mais vous le demandez, et je vais vous punir ;
Votre supplice est prêt, mon rival va périr.
Holà, soldats.

Alzire
Cruel !

Alvarès
Mon fils, qu'allez-vous faire ?
Respectez ses bienfaits, respectez sa misère.
Quel est l'état horrible, ô ciel, où je me vois !
L'un tient de moi la vie, à l'autre je la dois !
Ah mes fils ! De ce nom ressentez la tendresse,
D'un père infortuné regardez la vieillesse,
Et du moins…

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