ACTE DEUXIÈME - Scène 6



(Zamore, américains.)

Zamore
Qu'ai-je entendu, Gusman ! ô trahison ! ô rage !
Ô comble des forfaits ! Lâche et dernier outrage !
Il servirait Gusman ! L'ai-je bien entendu !
Dans l'univers entier n'est-il plus de vertu !
Alzire, Alzire aussi sera-t-elle coupable ?
Aura-t-elle succès ce poison détestable
Apporté parmi nous par ces persécuteurs,
Qui poursuivent nos jours et corrompent nos mœurs ?
Gusman est donc ici ? Que résoudre et que faire ?

Un Américain
J'ose ici te donner un conseil salutaire.
Celui qui t'a sauvé, ce vieillard vertueux,
Bientôt avec son fils va paraître à tes yeux.
Aux portes de la ville obtient qu'on nous conduise.
Sortons, allons tenter notre illustre entreprise :
Allons tout préparer contre nos ennemis,
Et surtout n'épargnons qu'Alvarès et son fils.
J'ai vu de ces remparts l'étrangère structure,
Cet art nouveau pour nous, vainqueur de la nature :
Ces angles, ces fossés, ces hardis boulevards,
Ces tonnerres d'airain grondant sur les remparts,
Ces pièges de la guerre, où la mort se présente,
Tout étonnants qu'ils sont, n'ont rien qui m'épouvante.
Hélas ! Nos citoyens enchaînés en ces lieux,
Servent à cimenter cet asile odieux ;
Ils dressent d'une main dans les fers avilie,
Ce siège de l'orgueil et de la tyrannie.
Mais, crois-moi, dans l'instant qu'ils verront leurs vengeurs,
Leurs mains vont se lever sur leurs persécuteurs :
Eux-mêmes ils détruiront cet effroyable ouvrage,
Instrument de leur honte et de leur esclavage.
Nos soldats, nos amis, dans ces fossés sanglants,
Vont te faire un chemin sur leurs corps expirants.
Partons, et revenons, sur ces coupables têtes,
Tourner ces traits de feu, ce fer et ces tempêtes,
Ce salpêtre enflammé, qui d'abord à nos yeux
Parut un feu sacré, lancé des mains des dieux.
Connaissons, renversons cette horrible puissance,
Que l'orgueil trop long temps fonda sur l'ignorance.

Zamore
Illustres malheureux ! Que j'aime à voir vos coeurs
Embrasser mes desseins, et sentir mes fureurs !
Puissions-nous de Gusman punir la barbarie !
Que son sang satisfasse au sang de ma patrie !
Triste divinité des mortels offensés,
Vengeance ! Arme nos mains, qu'il meure, et c'est assez,
Qu'il meure… mais hélas ! Plus malheureux que braves,
Nous parlons de punir et nous sommes esclaves.
De notre sort affreux le joug s'appesantit.
Alvarès disparaît, Montèze nous trahit,
Ce que j'aime est peut-être en des mains que j'abhorre :
Je n'ai d'autre douceur que d'en douter encore.
Mes amis, quels accents remplissent ce séjour ?
Ces flambeaux allumés ont redoublé le jour !
J'entends l'airain tonnant de ce peuple barbare :
Quelle fête, ou quel crime, est-ce donc qu'il prépare ?
Voyons si de ces lieux on peut au moins sortir ;
Si je puis vous sauver, ou s'il nous faut périr.

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