ACTE QUATRIÈME - Scène 1



(Alvarès, Gusman.)

Alvarès
Méritez donc, mon fils, un si grand avantage.
Vous avez triomphé du nombre et du courage,
Et de tous les vengeurs de ce triste univers
Une moitié n'est plus, et l'autre est dans vos fers.
Ah ! N'ensanglantez point le prix de la victoire,
Mon fils, que la clémence ajoute à votre gloire ;
Je vais sur les vaincus étendant mes secours,
Consoler leur misère, et veiller sur leurs jours.
Vous, songez cependant qu'un père vous implore ;
Soyez homme et chrétien, pardonnez à Zamore.
Ne pourrais-je adoucir vos inflexibles mœurs ?
Et n'apprendrez-vous point à conquérir des cœurs ?

Gusman
Ah ! Vous percez le mien. Demandez-moi ma vie,
Mais laissez un champ libre à ma juste furie :
Ménagez le courroux de mon cœur opprimé ;
Comment lui pardonner ? Le barbare est aimé.

Alvarès
Il en est plus à plaindre.

Gusman
À plaindre ? Lui mon père !
Ah ! Qu'on me plaigne ainsi ; la mort me sera chère.

Alvarès
Quoi, vous joignez encore à cet ardent courroux,
La fureur des soupçons, ce tourment des jaloux ?

Gusman
Et vous condamneriez jusqu'à ma jalousie ?
Quoi ce juste transport dont mon âme est saisie,
Ce triste sentiment plein de honte et d'horreur,
Si légitime en moi, trouve en vous un censeur !
Vous voyez sans pitié ma douleur effrénée !

Alvarès
Mêlez moins d'amertume à votre destinée ;
Alzire a des vertus, et loin de les aigrir,
Par des dehors plus doux vous devez l'attendrir.
Son cœur de ces climats conserve la rudesse,
Il résiste à la force, il cède à la souplesse,
Et la douceur peut tout sur notre volonté.

Gusman
Moi que je flatte encore l'orgueil de sa beauté !
Que sous un front serein déguisant mon outrage,
À de nouveaux mépris ma bonté l'encourage !
Ne devriez-vous pas, de mon honneur jaloux,
Au lieu de le blâmer, partager mon courroux ?
J'ai déjà trop rougi d'épouser une esclave,
Qui m'ose dédaigner, qui me hait, qui me brave,
Dont un autre à mes yeux possède encore le cœur,
Et que j'aime, en un mot, pour comble de malheur.

Alvarès
Ne vous repentez point d'un amour légitime ;
Mais sachez le régler, tout excès mène au crime.
Promettez-moi du moins de ne décider rien,
Avant de m'accorder un second entretien.

Gusman
Eh que pourrait un fils refuser à son père ?
Je veux bien pour un temps suspendre ma colère,
N'en exigez pas plus de mon cœur outragé.

Alvarès
Je ne veux que du temps.
(il sort.)

Gusman (seul.)
Quoi n'être point vengé !
Aimer, me repentir, être réduit encore
À l'horreur d'envier le destin de Zamore,
D'un de ces vils mortels en Europe ignorés,
Qu'à peine du nom d'homme on aurait honorés…
Que vois-je ! Alzire ! ô ciel…

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