ACTE TROISIÈME - Scène 4



(Alzire, Zamore, Émire.)

Zamore
M'est-elle enfin rendue ? Est-ce elle que je vois ?

Alzire
Ciel ! Tels étaient ses traits, sa démarche, sa voix.
(elle tombe entre les mains de sa confidente,)
Zamore… je succombe ; à peine je respire.

Zamore
Reconnais ton amant.

Alzire
Zamore aux pieds d'Alzire !
Est-ce une illusion ?

Zamore
Non, je revis pour toi.
Je réclame à tes pieds tes serments et ta foi.
Ô moitié de moi-même ! Idole de mon âme !
Toi, qu'un amour si tendre assurait à ma flamme,
Qu'as-tu fait des saints nœuds qui nous ont enchaînés ?

Alzire
Ô jours ! ô doux moments d'horreur empoisonnés !
Cher et fatal objet de douleur et de joie,
Ah ! Zamore, en quel temps faut-il que je te voie ?
Chaque mot dans mon cœur enfonce le poignard.

Zamore
Tu gémis et me vois !

Alzire
Je t'ai revu trop tard.

Zamore
Le bruit de mon trépas a du remplir le monde.
J'ai traîné loin de toi ma course vagabonde,
Depuis que ces brigands, t'arrachant à mes bras,
M'enlevèrent mes dieux, mon trône et tes appas.
Sais-tu que ce Gusman, ce destructeur sauvage,
Par des tourments sans nombre éprouva mon courage ?
Sais-tu que ton amant, à ton lit destiné,
Chère Alzire, aux bourreaux se vit abandonné ?
Tu frémis. Tu ressens le courroux qui m'enflamme.
L'horreur de cette injure a passé dans ton âme.
Un dieu sans doute, un dieu, qui préside à l'amour,
Dans le sein du trépas me conserva le jour.
Tu n'as point démenti ce grand dieu qui me guide ;
Tu n'ès point devenue espagnole et perfide.
On dit que ce Gusman respire dans ces lieux,
Je venais t'arracher à ce monstre odieux.
Tu m'aimes : vengeons-nous ; livre-moi ma victime.

Alzire
Oui, tu dois te venger, tu dois punir le crime,
Frappe.

Zamore
Que me dis-tu ? Quoi, tes vœux ! Quoi, ta foi !

Alzire
Frappe, je suis indigne, et du jour, et de toi.
Ah Montèze ! Ah, cruel ! Mon cœur n'a pu te croire.

Alzire
A-t-il osé t'apprendre une action si noire ?
Sais-tu pour quel époux j'ai pu t'abandonner ?

Zamore
Non, mais parle : aujourd'hui rien ne peut m'étonner.

Alzire
Eh bien ! Vois donc l'abîme où le sort nous engage :
Vois le comble du crime, ainsi que de l'outrage.

Zamore
Alzire !

Alzire
Ce Gusman…

Zamore
Grand dieu !

Alzire
Ton assassin,
Vient en ce même instant de recevoir ma main.

Zamore
Lui !

Alzire
Mon père, Alvarès, ont trompé ma jeunesse.
Ils ont à cet hymen entraîné ma faiblesse.
Ta criminelle amante, aux autels des chrétiens,
Vient, presque sous tes yeux, de former ces liens.
J'ai tout quitté, mes dieux, mon amant, ma patrie :
Au nom de tous les trois, arrache moi la vie.
Voilà mon cœur, il vole au devant de tes coups.

Zamore
Alzire, est-il bien vrai ? Gusman est ton époux !

Alzire
Je pourrais t'alléguer pour affaiblir mon crime,
De mon père sur moi le pouvoir légitime,
L'erreur où nous étions, mes regrets, mes combats,
Les pleurs que j'ai trois ans donnés à ton trépas :
Que des chrétiens vainqueurs esclave infortunée,
La douleur de ta perte à leur dieu m'a donnée,
Que je t'aimai toujours, que mon cœur éperdu,
A détesté tes dieux qui t'ont mal défendu ;
Mais je ne cherche point, je ne veux point d'excuse,
Il n'en est point pour moi, lorsque l'amour m'accuse.
Tu vis, il me suffit. Je t'ai manqué de foi ;
Tranche mes jours affreux, qui ne sont plus pour toi.
Quoi ! Tu ne me vois point d'un œil impitoyable ?

Zamore
Non, si je suis aimé, non, tu n'ès point coupable.
Puis-je encore me flatter de régner dans ton cœur ?

Alzire
Quand Montèze, Alvarès, peut-être un dieu vengeur,
Nos chrétiens, ma faiblesse, au temple m'ont conduite,
Sûre de ton trépas, à cet hymen réduite,
Enchaînée à Gusman par des nœuds éternels,
J'adorais ta mémoire au pied de nos autels.
Nos peuples, nos tyrans, tous ont su que je t'aime,
Je l'ai dit à la terre, au ciel, à Gusman même,
Et dans l'affreux moment, Zamore, où je te vois,
Je te le dis encore pour la dernière fois.

Zamore
Pour la dernière fois Zamore t'aurait vue !
Tu me serais ravie aussitôt que rendue !
Ah ! Si l'amour encore te parlait aujourd'hui…

Alzire
Ô ciel ! C'est Gusman même, et son père avec lui.

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