ACTE QUATRIÈME - Scène 3
(Alzire, Émire.)
Émire
Vous voyez qu'il vous aime, on pourrait l'attendrir.
Alzire
S'il m'aime, il est jaloux : Zamore va périr :
J'assassinais Zamore en demandant sa vie.
Ah ! Je l'avais prévu. M'auras-tu mieux servie ?
Pourras-tu le sauver ? Vivra-t-il loin de moi ?
Du soldat qui le garde as-tu tenté la foi ?
Émire
L'or qui les séduit tous, vient d'éblouir sa vue.
Sa foi, n'en doutez point, sa main vous est vendue.
Alzire
Ainsi grâces aux cieux, ces métaux détestés,
Ne servent pas toujours à nos calamités.
Ah ! Ne perds point de temps : tu balances encore !
Émire
Mais aurait-on juré la perte de Zamore ?
Alvarès aurait- il assez peu de crédit,
Et le conseil enfin…
Alzire
Je crains tout, il suffit.
Tu vois de ces tyrans la fierté tyrannique.
Ils pensent que pour eux le ciel fit l'Amérique,
Qu'ils en sont nés les rois ; et Zamore à leurs yeux,
Tout souverain qu'il fût n'est qu'un séditieux.
Conseil de meurtriers ! Gusman ! Peuple barbare !
Je préviendrai les coups que votre main prépare.
Ce soldat ne vient point, qu'il tarde à m'obéir !
Émire
Madame, avec Zamore il va bientôt venir ;
Il court à la prison. Déjà la nuit plus sombre
Couvre ce grand dessein du secret de son ombre.
Fatigués de carnage et de sang enivrés,
Les tyrans de la terre au sommeil sont livrés.
Alzire
Allons, que ce soldat nous conduise à la porte,
Qu'on ouvre la prison, que l'innocence en sorte.
Émire
Il vous prévient déjà ; Céphane le conduit.
Mais si l'on vous rencontre en cette obscure nuit,
Votre gloire est perdue, et cette honte extrême…
Alzire
Va, la honte serait de trahir ce que j'aime.
Cet honneur étranger parmi nous inconnu,
N'est qu'un fantôme vain qu'on prend pour la vertu.
C'est l'amour de la gloire et non de la justice,
La crainte du reproche et non celle du vice.
Je fus instruite, Émire, en ce grossier climat,
À suivre la vertu sans en chercher l'éclat.
L'honneur est dans mon cœur, et c'est lui qui m'ordonne,
De sauver un héros que le ciel abandonne.