ACTE QUATRIÈME - Scène 2
(Gusman, Alzire, Émire.)
Alzire
C'est moi, c'est ton épouse,
C'est ce fatal objet de ta fureur jalouse,
Qui n'a pu te chérir, qui t'a du révérer,
Qui te plaint, qui t'outrage, et qui vient t'implorer.
Je n'ai rien déguisé. Soit grandeur, soit faiblesse,
Ma bouche a fait l'aveu qu'un autre a ma tendresse :
Et ma sincérité, trop funeste vertu,
Si mon amant périt, est ce qui l'a perdu.
Je vais plus t'étonner, ton épouse a l'audace,
De s'adresser à toi pour demander sa grâce.
J'ai cru que Dom Gusman, tout fier, tout rigoureux,
Tout terrible qu'il est, doit être généreux.
J'ai pensé qu'un guerrier, jaloux de sa puissance,
Peut mettre l'orgueil même à pardonner l'offense :
Une telle vertu séduirait plus nos cœurs,
Que tout l'or de ces lieux n'éblouit nos vainqueurs.
Par ce grand changement dans ton âme inhumaine,
Par un effort si beau, tu vas changer la mienne,
Tu t'assures ma foi, mon respect, mon retour,
Tous mes vœux (s'il en est qui tiennent lieu d'amour)
.
Pardonne… je m'égare… éprouve mon courage.
Peut-être une espagnole, eût promis davantage.
Elle eût pu prodiguer les charmes de ses pleurs;
Je n'ai point leurs attraits, et je n'ai point leurs mœurs.
Ce cœur simple et formé des mains de la nature,
En voulant t'adoucir redouble ton injure ;
Mais enfin c'est à toi d'essayer désormais,
Sur ce cœur indompté la force des bienfaits.
Gusman
Eh bien ! Si les vertus peuvent tant sur votre âme,
Pour en suivre les lois, connaissez les, madame.
Étudiez nos mœurs, avant de les blâmer.
Ces mœurs sont vos devoirs, il faut s'y conformer.
Sachez que le premier, est d'étouffer l'idée,
Dont votre âme à mes yeux est encore possédée.
De vous respecter plus, et de n'oser jamais
Me prononcer le nom d'un rival que je hais,
D'en rougir la première, et d'attendre en silence,
Ce que doit d'un barbare ordonner ma vengeance.
Sachez que votre époux qu'ont outragé vos feux,
S'il peut vous pardonner, est assez généreux.
Plus que vous ne pensez, je porte un cœur sensible,
Et ce n'est pas à vous à me croire inflexible.