ACTE CINQUIÈME - Scène 7
(Alvarès, Gusman, Zamore, Alzire, Montèze, américains, soldats.)
Zamore
Cruels, sauvez Alzire, et pressez mon supplice !
Alzire
Non, qu'une affreuse mort tous trois nous réunisse.
Alvarès
Mon fils mourant, mon fils, ô comble de douleur !
Zamore (à Gusman.)
Tu veux donc jusqu'au bout consommer ta fureur ?
Viens, vois couler mon sang, puisque tu vis encore,
Viens apprendre à mourir en regardant Zamore.
Gusman (à Zamore.)
Il est d'autres vertus que je veux t'enseigner :
Je dois un autre exemple et je viens le donner.
(à Alvarès,)
Le ciel qui veut ma mort et qui l'a suspendue,
Mon père, en ce moment m'amène à votre vue.
Mon âme fugitive, et prête à me quitter,
S'arrête devant vous ;… mais pour vous imiter.
Je meurs, le voile tombe, un nouveau jour m'éclaire ;
Je ne me suis connu qu'au bout de ma carrière.
J'ai fait jusqu'au moment qui me plonge au cercueil,
Gémir l'humanité du poids de mon orgueil.
Le ciel venge la terre, il est juste ; et ma vie
Ne peut payer le sang, dont ma main s'est rougie.
Le bonheur m'aveugla, la mort m'a détrompé :
Je pardonne à la main par qui Dieu m'a frappé.
J'étais maître en ces lieux ; seul j'y commande encore.
Seul je puis faire grâce, et la fais à Zamore.
Vis, superbe ennemi, sois libre, et te souviens,
Quel fut et le devoir, et la mort d'un chrétien.
(À Montèze qui se jette à ses pieds,)
Montèze, américains, qui fûtes mes victimes,
Songez que ma clémence a surpassé mes crimes.
Instruisez l'Amérique, apprenez à ses rois
Que les chrétiens sont nés pour leur donner des lois.
(À Zamore.)
Des dieux que nous servons, connais la différence :
Les tiens t'ont commandé le meurtre et la vengeance,
Et le mien, quand ton bras vient de m'assassiner,
M'ordonne de te plaindre, et de te pardonner.
Alvarès
Ah mon fils ! Tes vertus égalent ton courage.
Alzire
Quel changement, grand dieu, quel étonnant langage !
Zamore
Quoi, tu veux me former moi-même au repentir !
Gusman
Je veux plus, je te veux forcer à me chérir.
Alzire n'a vécu que trop infortunée,
Et par mes cruautés, et par mon hyménée.
Que ma mourante main la remette en tes bras.
Vivez sans me haïr, gouvernez vos états :
Et de vos murs détruits rétablissant la gloire,
De mon nom, s'il se peut, bénissez la mémoire.
(à Alvarès.)
Daignez servir de père à ces époux heureux :
Que du ciel par vos soins le jour luise sur eux !
Aux clartés des chrétiens si son âme est ouverte,
Zamore est votre fils, et répare ma perte.
Zamore
Je demeure immobile, égaré, confondu,
Quoi donc les vrais chrétiens auraient tant de vertu !
Ah ! La loi qui t'oblige à cet effort suprême,
Je commence à le croire, est la loi d'un dieu même.
J'ai connu l'amitié, la constance, la foi :
Mais tant de grandeur d'âme est au-dessus de moi,
Tant de vertu m'accable et son charme m'attire,
Honteux d'être vengé, je t'aime et je t'admire.
(il se jette à ses pieds.)
Alzire
Seigneur, en rougissant je tombe à vos genoux,
Alzire en ce moment voudrait mourir pour vous,
Entre Zamore et vous mon âme déchirée,
Succombe au repentir dont elle est dévorée.
Je me sens trop coupable, et mes tristes erreurs…
Gusman
Tout vous est pardonné, puisque je vois vos pleurs.
Pour la dernière fois approchez-vous, mon père,
Vivez longtemps heureux, qu'Alzire vous soit chère ;
Zamore, sois chrétien, je suis content, je meurs !
Alvarès (à Montèze.)
Je vois le doigt de Dieu marqué dans nos malheurs.
Mon cœur désespère se soumet, s'abandonne
Aux volontés d'un dieu, qui frappe, et qui pardonne
(FIN d'ALZIRE. )