ACTE II - Scène III



(PACORUS, PALMIS.)

PACORUS
Madame, au nom des dieux, ne venez pas vous plaindre :
On me donne sans vous assez de gens à craindre ;
Et je serais bientôt accablé de leurs coups,
N'était que pour asile on me renvoie à vous.
J'obéis, j'y reviens, madame ; et cette joie…

PALMIS
Que n'y revenez-vous sans qu'on vous y renvoie !
Votre amour ne fait rien ni pour moi ni pour lui,
Si vous n'y revenez que par l'ordre d'autrui.

PACORUS
N'est-ce rien que pour vous à cet ordre il défère ?

PALMIS
Non, ce n'est qu'un dépit qu'il cherche à satisfaire.

PACORUS
Depuis quand le retour d'un cœur comme le mien
Fait-il si peu d'honneur qu'on ne le compte à rien ?

PALMIS
Depuis qu'il est honteux d'aimer un infidèle,
Que ce qu'un mépris chasse un coup d'œil le rappelle,
Et que les inconstants ne donnent point de cœurs
Sans être encor tous prêts de les porter ailleurs.

PACORUS
Je le suis, je l'avoue, et mérite la honte
Que d'un retour suspect vous fassiez peu de conte.
Montrez-vous généreuse ; et si mon changement
A changé votre amour en vif ressentiment,
Immolez un courroux si grand, si légitime,
À la juste pitié d'un si malheureux crime.
J'en suis assez puni sans que l'indignité…

PALMIS
Seigneur, le crime est grand ; mais j'ai de la bonté.
Je sais ce qu'à l'état ceux de votre naissance,
Tous maîtres qu'ils en sont, doivent d'obéissance :
Son intérêt chez eux l'emporte sur le leur,
Et du moment qu'il parle, il fait taire le cœur.

PACORUS
Non, madame, souffrez que je vous désabuse ;
Je ne mérite point l'honneur de cette excuse :
Ma légèreté seule a fait ce nouveau choix ;
Nulles raisons d'état ne m'en ont fait de lois ;
Et pour traiter la paix avec tant d'avantage,
On ne m'a point forcé de m'en faire le gage :
J'ai pris plaisir à l'être, et plus mon crime est noir,
Plus l'oubli que j'en veux me fera vous devoir.
Tout mon cœur…

PALMIS
Entre amants qu'un changement sépare,
Le crime est oublié, sitôt qu'on le répare ;
Et bien qu'il vous ait plu, seigneur, de me trahir,
Je le dis malgré moi, je ne vous puis haïr.

PACORUS
Faites-moi grâce entière, et songez à me rendre
Ce qu'un amour si pur, ce qu'une ardeur si tendre…

PALMIS
Donnez-moi donc, seigneur, vous-même, quelque jour,
Quelque infaillible voie à fixer votre amour ;
Et s'il est un moyen…

PACORUS
S'il en est ? Oui, madame,
Il en est de fixer tous les vœux de mon âme ;
Et ce joug qu'à tous deux l'amour rendit si doux,
Si je ne m'y rattache, il ne tiendra qu'à vous.
Il est, pour m'arrêter sous un si digne empire,
Un office à me rendre, un secret à me dire.
La princesse aime ailleurs, je n'en puis plus douter,
Et doute quel rival s'en fait mieux écouter.
Vous êtes avec elle en trop d'intelligence
Pour n'en avoir pas eu toute la confidence :
Tirez-moi de ce doute, et recevez ma foi
Qu'autre que vous jamais ne régnera sur moi.

PALMIS
Quel gage en est-ce, hélas ! Qu'une foi si peu sûre ?
Le ciel la rendra-t-il moins sujette au parjure ?
Et ces liens si doux, que vous avez brisés,
À briser de nouveau seront-ils moins aisés ?
Si vous voulez, seigneur, rappeler mes tendresses,
Il me faut des effets, et non pas des promesses ;
Et cette foi n'a rien qui me puisse ébranler,
Quand la main seule a droit de me faire parler.

PACORUS
La main seule en a droit ! Quand cent troubles m'agitent,
Que la haine, l'amour, l'honneur me sollicitent,
Qu'à l'ardeur de punir je m'abandonne en vain,
Hélas ! Suis-je en état de vous donner la main ?

PALMIS
Et moi, sans cette main, seigneur, suis-je maîtresse
De ce que m'a daigné confier la princesse,
Du secret de son cœur ? Pour le tirer de moi,
Il me faut vous devoir plus que je ne lui dois,
Être une autre vous-même ; et le seul hyménée
Peut rompre le silence où je suis enchaînée.

PACORUS
Ah ! Vous ne m'aimez plus.

PALMIS
Je voudrais le pouvoir ;
Mais pour ne plus aimer que sert de le vouloir ?
J'ai pour vous trop d'amour, et je le sens renaître
Et plus tendre et plus fort qu'il n'a dû jamais être.
Mais si…

PACORUS
Ne m'aimez plus, ou nommez ce rival.

PALMIS
Me préserve le ciel de vous aimer si mal !
Ce serait vous livrer à des guerres nouvelles,
Allumer entre vous des haines immortelles…

PACORUS
Que m'importe ? Et qu'aurai-je à redouter de lui,
Tant que je me verrai Suréna pour appui ?
Quel qu'il soit, ce rival, il sera seul à plaindre :
Le vainqueur des Romains n'a point de rois à craindre.

PALMIS
Je le sais ; mais, seigneur, qui vous peut engager
Aux soins de le punir et de vous en venger ?
Quand son grand cœur charmé d'une belle princesse
En a su mériter l'estime et la tendresse,
Quel dieu, quel bon génie a dû lui révéler
Que le vôtre pour elle aimerait à brûler ?
À quels traits ce rival a-t-il dû le connaître,
Respecter de si loin des feux encore à naître,
Voir pour vous d'autres fers que ceux où vous viviez,
Et lire en vos destins plus que vous n'en saviez ?
S'il a vu la conquête à ses vœux exposée,
S'il a trouvé du cœur la sympathie aisée,
S'être emparé d'un bien où vous n'aspiriez pas,
Est-ce avoir fait des vols et des assassinats ?

PACORUS
Je le vois bien, madame, et vous et ce cher frère
Abondez en raisons pour cacher le mystère :
Je parle, promets, prie, et je n'avance rien.
Aussi votre intérêt est préférable au mien ;
Rien n'est plus juste ; mais…

PALMIS
Seigneur…

PACORUS
Adieu, madame :
Je vous fais trop jouir des troubles de mon âme.
Le ciel se lassera de m'être rigoureux.

PALMIS
Seigneur, quand vous voudrez, il fera quatre heureux.

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