ACTE III - Scène 2



(Puchérie, Justine.)

PULCHÉRIE
Que me dit-il, Justine, et de quelle retraite
Ose-t-il menacer l'hymen qu'il me souhaite ?
De Léon près de moi ne se fait-il l'appui
Que pour mieux dédaigner de me servir sous lui ?
Le hait-il ? Le craint-il ? Et par quelle autre cause…

JUSTINE
Qui que vous épousiez, il voudra même chose.

PULCHÉRIE
S'il était dans un âge à prétendre ma foi,
Comme il serait de tous le plus digne de moi,
Ce qu'il donne à penser aurait quelque apparence ;
Mais les ans l'ont dû mettre en entière assurance.

JUSTINE
Que savons-nous, madame ? Est-il dessous les cieux
Un cœur impénétrable au pouvoir de vos yeux ?
Ce qu'ils ont d'habitude à faire des conquêtes
Trouve à prendre vos fers les âmes toujours prêtes.
L'âge n'en met aucune à couvert de leurs traits :
Mon que sur Martian j'en sache les effets ;
Il m'a dit comme à vous que ce grand hyménée
L'envoira loin d'ici finir sa destinée ;
Et si j'ose former quelque soupçon confus,
Je parle en général, et ne sais rien de plus.
Mais pour votre Léon, êtes-vous résolue
À le perdre aujourd'hui de puissance absolue ?
Car ne l'épouser pas, c'est le perdre en effet.

PULCHÉRIE
Pour te montrer la gêne où son nom seul me met,
Souffre que je t'explique en faveur de sa flamme
La tendresse du cœur après la grandeur d'âme.
Léon seul est ma joie, il est mon seul désir ;
Je n'en puis choisir d'autre, et n'ose le choisir :
Depuis trois ans unie à cette chère idée,
J'en ai l'âme à toute heure, en tous lieux, obsédée ;
Rien n'en détachera mon cœur que le trépas,
Encore après ma mort n'en répondrais-je pas ;
Et si dans le tombeau le ciel permet qu'on aime,
Dans le fond du tombeau je l'aimerai de même.
Trône qui m'éblouis, titres qui me flattez,
Pourrez-vous me valoir ce que vous me coûtez ?
Et de tout votre orgueil la pompe la plus haute
A-t-elle un bien égal à celui qu'elle m'ôte ?

JUSTINE
Et vous pouvez penser à prendre un autre époux ?

PULCHÉRIE
Ce n'est pas, tu le sais, à quoi je me résous.
Si ma gloire à Léon me défend de me rendre,
De tout autre que lui l'amour sait me défendre.
Qu'il est fort cet amour ! Sauve-m'en, si tu peux ;
Vois Léon, parle-lui, dérobe-moi ses vœux :
M'en faire un prompt larcin, c'est me rendre un service
Qui saura m'arracher des bords du précipice.
Je le crains, je me crains, s'il n'engage sa foi,
Et je suis trop à lui tant qu'il est tout à moi.
Sens-tu d'un tel effort ton amitié capable ?
Ce héros n'a-t-il rien qui te paroisse aimable ?
Au pouvoir de tes yeux j'unirai mon pouvoir :
Parle, que résous-tu de faire ?

JUSTINE
Mon devoir.
Je sors d'un sang, madame, à me rendre assez vaine
Pour attendre un époux d'une main souveraine ;
Et n'ayant point d'amour que pour ma liberté,
S'il la faut immoler à votre sûreté,
J'oserai… Mais voici ce cher Léon, madame ;
Voulez-vous…

PULCHÉRIE
Laisse-moi consulter mieux mon âme ;
Je ne sais pas encor trop bien ce que je veux :
Attends un nouvel ordre, et suspends tous tes vœux.

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