ACTE IV - Scène 1



(Justine, Irène.)

JUSTINE
Non, votre cher Aspar n'aime point la princesse :
Ce n'est que pour le rang que tout son cœur s'empresse ;
Et si l'on eût choisi mon père pour César,
J'aurais déjà les vœux de cet illustre Aspar.
Il s'en est expliqué tantôt en ma présence ;
Et tout ce que pour elle il a de complaisance,
Tout ce qu'il lui veut faire ou craindre ou dédaigner,
Ne doit être imputé qu'à l'ardeur de régner.
Pulchérie a des yeux qui percent le mystère,
Et le croit plus rival qu'ami de ce cher frère ;
Mais comme elle balance, elle écoute aisément
Tout ce qui peut d'abord flatter son sentiment :
Voilà ce que j'en sais.

IRÈNE
Je ne suis point surprise
De tout ce que d'Aspar m'apprend votre franchise.
Vous ne m'en dites rien que ce que j'en ai dit,
Lorsqu'à Léon tantôt j'ai dépeint son esprit ;
Et j'en ai pénétré l'ambition secrète
Jusques à pressentir l'offre qu'il vous a faite.
Puisque en vain je m'attache à qui ne m'aime pas,
Il faut avec honneur franchir ce mauvais pas :
Il faut, à son exemple, avoir ma politique,
Trouver à ma disgrâce une face héroïque,
Donner à ce divorce une illustre couleur,
Et sous de beaux dehors dévorer ma douleur.
Dites-moi cependant, que deviendra mon frère ?
D'un si parfait amour que faut-il qu'il espère ?
On l'aime, et fortement, et bien plus qu'on ne veut ;

JUSTINE
Mais pour s'en détacher, on fait tout ce qu'on peut.
Faut-il vous dire tout ? On m'a commandé même
D'essayer contre lui l'art et le stratagème.
On me devra beaucoup si je puis l'ébranler,
On me donne son cœur, si je le puis voler ;
Et déjà pour essai de mon obéissance,
J'ai porté quelque attaque, et fait un peu d'avance.
Vous pouvez bien juger comme il a rebuté,
Fidèle amant qu'il est, cette importunité ;
Mais pour peu qu'il vous plût appuyer l'artifice,
Cet appui tiendrait lieu d'un signalé service.

IRÈNE
Ce n'est point un service à prétendre de moi
Que de porter mon frère à garder mal sa foi ;
Et quand à vous aimer j'aurais su le réduire,
Quel fruit son changement pourrait-il lui produire ?
Vous qui ne l'aimez point, pourriez-vous l'accepter ?

JUSTINE
Léon ne sauroit être un homme à rejeter ;
Et l'on voit si souvent, après la foi donnée,
Naître un parfait amour d'un pareil hyménée,
Que si de son côté j'y voyais quelque jour,
J'espérerais bientôt de l'aimer à mon tour.

IRÈNE
C'est trop et trop peu dire. Est-il encore à naître,
Cet amour ? Est-il né ?

JUSTINE
Cela pourrait bien être.
Ne l'examinons point avant qu'il en soit temps ;
L'occasion viendra peut-être, et je l'attends.

IRÈNE
Et vous servez Léon auprès de la princesse ?

JUSTINE
Avec sincérité pour lui je m'intéresse ;
Et si j'en étais crue, il aurait le bonheur
D'en obtenir la main, comme il en a le cœur.
J'obéis cependant aux ordres qu'on me donne,
Et souffrirais ses vœux, s'il perdait la couronne.
Mais la princesse vient.

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