ACTE TROISIÈME - SCÈNE IV



(Les mêmes, excepté BINET.)

MADAME DU BROCARD
Vous connaissez mon neveu. Je ne vous en fait point un reproche… vos parents seuls…

MADAME GIRAUD
Mais, Dieu merci, elle n'en a pas à se faire.

GIRAUD
C'est monsieur votre neveu qui est cause qu'on jase sur son compte… mais elle est innocente !

DE VERBY ( l'interrompant.)
Je le crois… Cependant, s'il nous la fallait coupable ?

PAMÉLA
Que voulez-vous dire, Monsieur ?

GIRAUD et MADAME GIRAUD
Par exemple !

MADAME DU BROCARD (saisissant l'idée de de Verby.)
Oui, si pour sauver la vie d'un pauvre jeune homme…

DE VERBY
Il fallait déclarer que M. Jules Rousseau a été la plus grande partie de la nuit du 24 août ici, chez vous ?

PAMÉLA
Ah Monsieur !

DE VERBY (à Giraud et à sa femme.)
S'il fallait déposer contre votre fille, en affirmant que c'est la vérité ?

MADAME GIRAUD
Je ne dirais jamais ça.

GIRAUD
Outrager mon enfant !… Monsieur, j'ai eu tous les chagrins possibles… j'ai été tailleur, je me suis vu réduit à rien… à être portier !… mais je suis resté père… Ma fille, notre trésor, c'est la gloire de nos vieux jours, et vous voulez que nous la déshonorions !

MADAME DU BROCARD
Écoutez-moi, Monsieur.

GIRAUD
Non, Madame. Ma fille, c'est l'espoir de mes cheveux blancs.

PAMÉLA
Mon père, calmez-vous, je vous en prie.

MADAME GIRAUD
Voyons, Giraud ! laisse donc parler monsieur et madame.

MADAME DU BROCARD
C'est une famille éplorée qui vient vous demander de la sauver.

PAMÉLA (à part.)
Pauvre Jules !

DE VERBY ( bas, à Pamela.)
Son sort est entre vos mains.

MADAME GIRAUD
Nous ne sommes pas de mauvaises gens ! on sait bien ce que c'est que des parents, une mère, qui sont dans le désespoir… mais ce que vous demandez est impossible.
(Paméla porte un mouchoir à ses yeux.)

GIRAUD
Allons ! voilà qu'elle pleure !

MADAME GIRAUD
Elle n'a fait que ça depuis quelques jours.

GIRAUD
Je connais ma fille ; elle serait capable d'aller dire tout ça malgré nous.

MADAME GIRAUD
Eh oui… car voyez-vous, elle l'aime, vot'neveu ! et pour lui sauver la vie… eh bien ! j'en ferais autant à sa place.

MADAME DU BROCARD
Oh ! laissez-vous attendrir !

DE VERBY
Cédez à nos prières…

MADAME DU BROCARD (à Paméla.)
S'il est vrai que vous aimiez Jules…

MADAME GIRAUD (amenant Giraud près de Paméla.)
Après ça, écoute… Elle l'aime, ce garçon… bien sûr, il doit l'aimer aussi… Si elle faisait un sacrifice comme ça, ça mériterait bien qu'il l'épouse !

PAMÉLA ( vivement.)
Jamais. (À part.)
Ils ne le voudraient pas, eux !

DE VERBY ( à mademoiselle du Brocard.)
Ils se consultent !

MADAME DU BROCARD (bas, à de Verby.)
Il faut absolument faire un sacrifice ! Prenez-les par l'intérêt… C'est le seul moyen !

DE VERBY
En venant vous demander un sacrifice aussi grand, nous savions combien il devait mériter notre reconnaissance. La famille de Jules, qui aurait pu blâmer vos relations avec lui, veut remplir, au contraire, les obligations qu'elle va contracter envers vous.

MADAME GIRAUD
Hein ? quand je te disais !

PAMÉLA (très-heureuse.)
Jules ! il se pourrait ?

DE VERBY
Je suis autorisé à vous faire une promesse.

PAMÉLA (émue.)
Oh ! mon Dieu !

DE VERBY
Parlez ! Combien voulez-vous pour le sacrifice que vous faites ?

PAMÉLA (interdite.)
Comment ! combien !… je veux… pour sauver Jules ? Vous voulez donc alors que je sois une misérable !

MADAME DU BROCARD
Ah ! mademoiselle !

DE VERBY
Vous vous trompez.

PAMÉLA
C'est vous qui avez fait erreur ! Vous êtes venus ici, chez de pauvres gens, et vous ne saviez pas ce que vous leur demandiez… Vous, madame, qui deviez Je savoir, quels que soient le rang, l'éducation, l'honneur d'une femme est son trésor ! ce que dans vos familles vous conservez avec tant de soin, tant de respect, vous avez cru qu'ici, dans une mansarde, on le vendrait ! et vous vous êtes dit : Offrons de l'or ! il nous faut l'honneur d'une grisette !

GIRAUD
C'est très-bien… je reconnais mon sang.

MADAME DU BROCARD
Ma chère enfant, ne vous offensez pas ! l'argent est l'argent, après tout !

DE VERBY (s'adressant à Giraud.)
Sans doute ! Et six bonnes mille livres de rente pour… un…

PAMÉLA
Pour un mensonge ! vous l'aurez à moins… Mais, Dieu merci, je sais me respecter ! Adieu, Monsieur.
(Elle fait une profonde révérence à madame du Brocard, puis elle entre dans sa chambre.)

DE VERBY
Que faire ?

MADAME DU BROCARD
C'est incompréhensible !

GIRAUD
Je sais bien que six mille livres de rente, c'est un denier… mais notre fille a l'âme fière, voyez-vous ; elle tient de moi.

MADAME GIRAUD
Et elle ne cédera pas.

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