ACTE CINQUIÈME - SCÈNE VI



(DUPRÉ ROUSSEAU, MADAME ROUSSEAU.)

ROUSSEAU
Monsieur, vous nous voyez désespérés… Madame du Brocard, ma belle-sœur, est venue ce matin faire à ma femme une foule d'histoires.

MADAME ROUSSEAU
Monsieur, j'en suis tout effrayée !…

DUPRÉ (lui offrant un siége.)
Permettez… Madame…

ROUSSEAU
S'il faut l'en croire, voilà encore mon fils compromis.

DUPRÉ
C'est la vérité !

ROUSSEAU
Je n'en sortirai pas !… Pendant trois mois qu'a duré cette malheureuse affaire, j'ai abrégé ma vie de dix années !… Des spéculations magnifiques, des combinaisons sûres, j'ai tout sacrifié, tout laissé passer en d'autres mains. Enfin c'était fait !… Mais, quand je crois tout terminé, il me faut encore tout quitter, employer en démarches, en sollicitations, un temps précieux !…

DUPRÉ
Je vous plains !… Ah je vous plains !…

MADAME ROUSSEAU
Cependant il m'est impossible…

ROUSSEAU
C'est votre faute !… celle de votre famille !… Madame du Brocard, avec sa particule, qui, dans le commencement, m'appelait toujours mon cher Rousseau… et qui me… parce que j'avais cent mille écus !…

DUPRÉ
C'est un beau vernis.

ROUSSEAU
Par ambition, par orgueil, elle s'est jetée au cou de M. de Verby. (De Verby et madame du Brocard écoutent, la tête hors du rideau, chacun de son coté.)
Joli couple !… charmants caractères, un brave d'antichambre !… (de verby retire vivement sa tête)
et une vieille dévote hypocrite. (Madame du Brocard cache la sienne.)

MADAME ROUSSEAU
Monsieur, c'est ma sœur !…

DUPRÉ
Ah ! vous allez trop loin !…

ROUSSEAU
Vous ne les connaissez pas !… Monsieur, je m'adresse à vous encore une fois ?… Une nouvelle instruction doit être commencée !… Que devient cette petite ?…

DUPRÉ
Cette petite est ma femme, Monsieur !…

ROUSSEAU et MADAME ROUSSEAU
Votre femme !…

DE VERBY et MADAME DU BROCARD
Sa femme !…

DUPRÉ
Oui, je l'épouse dès qu'elle sera libre… à moins qu'elle ne devienne la femme de votre fils !…

ROUSSEAU
La femme de mon fils ?…

MADAME ROUSSEAU
Que dit-il ?

DUPRÉ
Eh bien, qu'y a-t-il donc ?… cela vous étonne !… il faut pourtant vous faire à cette idée-là… car c'est ce que je demande.

ROUSSEAU (ironiquement.)
Ah !… M. Dupré !… ce n'est pas que je tienne à mademoiselle de Verby… la nièce d'un homme taré !… C'est cette folle de madame du Brocard qui voulait faire ce beau mariage… mais de là à la fille d'un portier…

DUPRÉ
Il ne l'est plus, Monsieur !…

ROUSSEAU
Comment !

DUPRÉ
Il a perdu sa place à cause de votre fils, et il va retourner en province vivre des rentes… (Rousseau prête l'oreille.)
que vous lui ferez.

ROUSSEAU
Ah ! si vous plaisantez !…

DUPRÉ
C'est très-sérieux !… Votre fils épousera leur fille… et vous leur ferez une pension.

ROUSSEAU
Monsieur…

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