M. ORGON, LUCILE, PHÉNICE.
M. Orgon (parlant avec Lucile, avec qui il rentre)
Non, ma fille, je n'ai jamais prétendu vous contraindre : quelque chose que vous me disiez, il est certain que vous ne l'aimez pas ; ainsi n'en parlons plus. (Phénice veut s'en aller.)
Restez, Phénice, je vous cherchais, et j'ai un mot à vous dire. Écoutez-moi toutes deux. Damis voulait épouser votre sœur ; c'était là notre arrangement. Nous sommes obligés de le changer ; le cœur de Lucile en dispose autrement : elle ne l'avoue pas, mais ce n'est que par pure complaisance pour moi, et j'ai quitté ce projet-là.
Lucile
Mais, mon père, vous dirais-je que j'aime Damis ! Cela ne siérait pas ; c'est un langage qu'une fille bien née ne saurait tenir, quand elle en aurait envie.
M. Orgon
Encore ! Et si je vous disais que c'est de Lisette elle-même que je sais qu'il ne vous plaît pas, ma fille ! À quoi bon s'en défendre ? Je vous dispense de ces considérations-là pour moi ; et, pour trancher net, vous ne l'épouserez point ; vos dégoûts pour lui n'ont été que trop marqués, et je le destine à votre sœur à qui son cœur se donne, et qui ne lui refuse pas le sien, quoiqu'elle aille de son côté me dire le contraire à cause de vous.
Phénice
Moi, l'épouser, mon père !
M. Orgon
Nous y voilà ; je savais votre réponse avant que vous me la fissiez. Je vous connais toutes deux : l'une, de peur de me fâcher, épouserait ce qu'elle n'aime pas ; l'autre, par retenue pour sa sœur, refuserait d'épouser ce qu'elle aime. Vous voyez bien que je suis au fait, et que je sais vous interpréter ; d'ailleurs, je suis bien instruit, et je ne me trompe pas.
Lucile (à part, à Phénice)
Parlez donc ; vous voilà comme une statue.
Phénice
En vérité, je ne saurais penser que ceci soit sérieux.
Lucile
Prenez garde à ce que vous ferez, mon père ; vous vous méprenez sur ma sœur, et je lui vois presque la larme à l'œil.
M. Orgon
Si elles ne sont pas folles, c'est moi qui ai perdu l'esprit : adieu. Je vais informer M. Ergaste du nouveau mariage que je médite ; son amitié ne m'en dédira pas. Pour vous, mes enfants, plaignez-vous, c'est moi qui ai tort ; en effet, j'abuse du pouvoir que j'ai sur vous ; plaignez-vous, je vous le conseille, cela soulage ; mais je ne veux pas vous entendre, vous m'attendririez trop ; allez, sortez sans me répondre, et laissez-moi parler à M. Ergaste, qui arrive.
Lucile (en partant)
J'étouffe.
L'Île des esclaves, comédie en un acte écrite par Marivaux en 1725, se déroule sur une île utopique où les rapports sociaux sont inversés pour rétablir la justice. L'intrigue débute...
L'Île de la raison, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1727, se déroule sur une île imaginaire gouvernée par la raison et la vérité, où les habitants vivent...
L'Heureux Stratagème, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1733, raconte les manœuvres subtiles de deux amants pour raviver leur amour mis à l'épreuve. La marquise et le chevalier,...
L'Héritier de village, comédie en un acte écrite par Marivaux en 1725, raconte les mésaventures d’un jeune homme naïf, Eraste, nouvellement désigné comme héritier d’un riche villageois. L’histoire se déroule...
Les Fausses Confidences, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1737, met en scène les stratagèmes de l’amour et les jeux de manipulation pour conquérir un cœur. L’histoire suit...