Les Serments indiscrets
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ACTE CINQUIÈME - Scène première

Marivaux

ACTE CINQUIÈME - Scène première


FRONTIN, LISETTE.

Frontin
Je te dis qu'il est au désespoir, et qu'il aurait déjà disparu si je ne l'arrêtais pas.

Lisette
Qu'on est sot quand on aime !

Frontin
C'est bien pis quand on épouse.

Lisette
Le plus court serait que ton maître allât se jeter aux pieds de ma maîtresse ; je suis persuadée que cela terminerait tout.

Frontin
Il n'y a pas moyen ; il dit qu'il a suffisamment éprouvé le cœur de Lucile, et que ce cœur est si mal disposé pour lui, que peut-être publierait-elle l'aveu de son amour pour le perdre.

Lisette
Quelle imagination !

Frontin
Que veux-tu ? Le danger où il est d'épouser Phénice, l'impossibilité où il se trouve de la refuser avec honneur, l'idée qu'il a des sentiments de Lucile, tout cela lui tourne la tête et la tournerait à un autre ; il ne voit pas les choses comme nous, il faut le plaindre ; malheureusement c'est un garçon qui a de l'esprit ; cela fait qu'il subtilise, que son cerveau travaille ; et dans de certains embarras, sais-tu bien qu'il n'appartient qu'aux gens d'esprit de n'avoir pas le sens commun ? Je l'ai tant éprouvé moi-même !

Lisette
Quoi qu'il en soit, qu'il se garde bien de s'en aller avant de savoir à quoi s'en tenir ; car j'espère que la difficulté que nous avons fait naître, et la conduite que nous faisons tenir à Lucile, le tireront d'affaire. Je n'ai pas eu de peine à persuader à ma maîtresse que ce mariage-ci lui faisait une véritable injure, qu'elle avait droit de s'en plaindre, et M. Orgon m'a paru aussi très embarrassé de ce que j'ai été lui dire de sa part ; mais toi, de ton côté, qu'as-tu dit au père de Damis ? Lui as-tu fait sentir le désagrément qu'il y avait pour son fils de n'entrer dans une maison que pour y brouiller les deux sœurs ?

Frontin
Je me suis surpassé, ma fille ; tu sais le talent que j'ai pour la parole et l'art avec lequel je mens quand il faut ; je lui ai peint Lucile si ennemie de mon maître, remplissant la maison de tant de murmures, menaçant sa sœur d'une rupture si terrible si elle l'épouse ! J'ai peint M. Orgon si consterné, Phénice si découragée, Damis si stupéfait !

Lisette
À cela qu'a-t-il répondu ?

Frontin
Rien ; sinon qu'à mon récit il a soupiré, levé les épaules, et m'a quitté pour parler à M. Orgon et pour consoler son fils, qui est averti et qui, de son côté, l'attend avec une douleur inconsolable.

Lisette
Voilà, ce me semble, tout ce qu'on peut faire en pareil cas pour ton maître, et j'ai bonne opinion de cela ; mais retire-toi ; voici Lucile qui me cherche apparemment ; je lui ai toujours dit qu'elle aimait Damis sans qu'elle l'ait avoué, et je vais changer de ton afin de la forcer à en changer elle-même.

Frontin
Adieu ; songe qu'il faut que je t'épouse, ou que la tête me tourne aussi.

Lisette
Va, va, ta tête a pris les devants ; ne crains plus rien pour elle.


ACTE CINQUIÈME - Scène première

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