ACTE QUATRIÈME - SCÈNE IV
Zopire ; Séide, Palmire, sur le devant.
Zopire (près de l'autel)
ô dieux de ma patrie !
Dieux prêts à succomber sous une secte impie,
c'est pour vous-même ici que ma débile voix
vous implore aujourd'hui pour la dernière fois.
La guerre va renaître, et ses mains meurtrières
de cette faible paix vont briser les barrières.
Dieux ! Si d'un scélérat vous respectez le sort…
Séide (à Palmire)
Tu l'entends qui blasphème ?
Zopire
Accordez-moi la mort.
Mais rendez-moi mes fils à mon heure dernière ;
que j'expire en leurs bras ; qu'ils ferment ma paupière.
Hélas ! Si j'en croyais mes secrets sentiments,
si vos mains en ces lieux ont conduit mes enfants…
Palmire (à Séide)
Que dit-il ? Ses enfants !
Zopire
ô mes dieux que j'adore !
Je mourrais du plaisir de les revoir encore.
Arbitre des destins, daignez veiller sur eux ;
qu'ils pensent comme moi, mais qu'ils soient plus heureux !
Séide
Il court à ses faux dieux ! Frappons.
(il tire son poignard.)
Palmire
Que vas-tu faire ?
Hélas !
Séide
Servir le ciel, te mériter, te plaire.
Ce glaive à notre dieu vient d'être consacré ;
que l'ennemi de dieu soit par lui massacré !
Marchons. Ne vois-tu pas dans ces demeures sombres
ces traits de sang, ce spectre, et ces errantes ombres ?
Palmire
Que dis-tu ?
Séide
Je vous suis, ministres du trépas ;
vous me montrez l'autel ; vous conduisez mon bras.
Allons ;
Palmire
Non ; trop d'horreur entre nous deux s'assemble.
Demeure ;
Séide
Il n'est plus temps ; avançons : l'autel tremble.
Palmire
Le ciel se manifeste, il n'en faut pas douter.
Séide
Me pousse-t-il au meurtre, ou veut-il m'arrêter ?
Du prophète de dieu la voix se fait entendre ;
il me reproche un coeur trop flexible et trop tendre ;
Palmire !
Palmire
Eh bien ?
Séide
Au ciel adressez tous vos voeux.
Je vais frapper.
(il sort, et va derrière l'autel où est Zopire.)
Palmire
Je meurs ! ô moment douloureux !
Quelle effroyable voix dans mon âme s'élève !
D'où vient que tout mon sang malgré moi se soulève ?
Si le ciel veut un meurtre, est-ce à moi d'en juger ?
Est-ce à moi de m'en plaindre, et de l'interroger ?
J'obéis. D'où vient donc que le remords m'accable ?
Ah ! Quel coeur sait jamais s'il est juste ou coupable ?
Je me trompe, ou les coups sont portés cette fois ;
j'entends les cris plaintifs d'une mourante voix.
Séide… hélas ! …
Séide revient d'un air égaré.
Où suis-je ? Et quelle voix m'appelle ?
Je ne vois point Palmire ; un dieu m'a privé d'elle.
Palmire
Eh quoi ! Méconnais-tu celle qui vit pour toi ?
Séide
Où sommes-nous ?
Palmire
Eh bien ! Cette effroyable loi,
cette triste promesse est-elle enfin remplie ?
Séide
Que me dis-tu ?
Palmire
Zopire a-t-il perdu la vie ?
Séide
Qui ? Zopire ?
Palmire
Ah ! Grand dieu ! Dieu de sang altéré,
ne persécutez point son esprit égaré.
Fuyons d'ici.
Séide
Je sens que mes genoux s'affaissent.
(il s'assied.)
ah ! Je revois le jour (et mes forces renaissent)
: Quoi ! C'est vous ?
Palmire
Qu'as-tu fait ?
Séide (se relevant)
Moi ! Je viens d'obéir…
d'un bras désespéré je viens de le saisir.
Par ses cheveux blanchis j'ai traîné ma victime.
ô ciel ! Tu l'as voulu ! Peux-tu vouloir un crime ?
Tremblant, saisi d'effroi, j'ai plongé dans son flanc
ce glaive consacré qui dut verser son sang.
J'ai voulu redoubler ; ce vieillard vénérable
a jeté dans mes bras un cri si lamentable !
La nature a tracé dans ses regards mourants
un si grand caractère, et des traits si touchants ! …
de tendresse et d'effroi mon âme s'est remplie,
et, plus mourant que lui, je déteste ma vie.
Palmire
Fuyons vers Mahomet qui doit nous protéger ;
près de ce corps sanglant vous êtes en danger.
Suivez-moi ;
Séide
Je ne puis. Je me meurs. Ah ! Palmire ! …
Palmire
Quel trouble épouvantable à mes yeux le déchire !
Séide (en pleurant)
Ah ! Si tu l'avais vu, le poignard dans le sein,
s'attendrir à l'aspect de son lâche assassin !
Je fuyais. Croirais-tu que sa voix affaiblie
pour m'appeler encore a ranimé sa vie ?
Il retirait ce fer de ses flancs malheureux.
Hélas ! Il m'observait d'un regard douloureux.
" cher Séide, a-t-il dit, infortuné Séide ! "
cette voix, ces regards, ce poignard homicide,
ce vieillard attendri, tout sanglant à mes pieds,
poursuivent devant toi mes regards effrayés.
Qu'avons-nous fait ?
Palmire
On vient, je tremble pour ta vie.
Fuis au nom de l'amour et du noeud qui nous lie.
Séide
Va, laisse-moi. Pourquoi cet amour malheureux
m'a-t-il pu commander ce sacrifice affreux ?
Non, cruelle ! Sans toi, sans ton ordre suprême,
je n'aurais pu jamais obéir au ciel même.
Palmire
De quel reproche horrible oses-tu m'accabler !
Hélas ! Plus que le tien mon coeur se sent troubler.
Cher amant, prends pitié de Palmire éperdue !
Séide
Palmire ! Quel objet vient effrayer ma vue ?
(Zopire paraît, appuyé sur l'autel, après s'être relevé derrière cet autel où il a reçu le coup.)
c'est cet infortuné luttant contre la mort,
qui vers nous tout sanglant se traîne avec effort.
Séide
Eh quoi ! Tu vas à lui ?
Palmire
De remords dévorée,
je cède à la pitié dont je suis déchirée.
Je n'y puis résister ; elle entraîne mes sens.
Zopire (avançant et soutenu par elle)
Hélas ! Servez de guide à mes pas languissants !
(il s'assied.)
Séide, ingrat ! C'est toi qui m'arraches la vie !
Tu pleures ! Ta pitié succède à ta furie !