ACTE DEUXIÈME - SCÈNE IV
Mahomet, Omar.
Mahomet
Toi, reste, brave Omar : il est temps que mon coeur
de ses derniers replis t'ouvre la profondeur.
D'un siège encor douteux la lenteur ordinaire
peut retarder ma course, et borner ma carrière ;
ne donnons point le temps aux mortels détrompés
de rassurer leurs yeux de tant d'éclat frappés.
Les préjugés, ami, sont les rois du vulgaire.
Tu connais quel oracle et quel bruit populaire
ont promis l'univers à l'envoyé d'un dieu,
qui, reçu dans la Mecque, et vainqueur en tout lieu,
entrerait dans ces murs en écartant la guerre ;
je viens mettre à profit les erreurs de la terre.
Mais tandis que les miens, par de nouveaux efforts,
de ce peuple inconstant font mouvoir les ressorts,
de quel oeil revois-tu Palmire avec Séide ?
Omar
Parmi tous ces enfants enlevés par Hercide,
qui, formés sous ton joug, et nourris dans ta loi,
n'ont de dieu que le tien, n'ont de père que toi,
aucun ne te servit avec moins de scrupule,
n'eut un coeur plus docile, un esprit plus crédule ;
de tous tes musulmans ce sont les plus soumis.
Mahomet
Cher Omar, je n'ai point de plus grands ennemis.
Ils s'aiment, c'est assez.
Omar
Blâmes-tu leurs tendresses ?
Mahomet
Ah ! Connais mes fureurs et toutes mes faiblesses.
Omar
Comment ?
Mahomet
Tu sais assez quel sentiment vainqueur
parmi mes passions règne au fond de mon coeur.
Chargé du soin du monde, environné d'alarmes,
je porte l'encensoir, et le sceptre, et les armes ;
ma vie est un combat, et ma frugalité
asservit la nature à mon austérité ;
j'ai banni loin de moi cette liqueur traîtresse
qui nourrit des humains la brutale mollesse ;
dans des sables brûlants, sur des rochers déserts,
je supporte avec toi l'inclémence des airs ;
l'amour seul me console ; il est ma récompense,
l'objet de mes travaux, l'idole que j'encense,
le dieu de Mahomet ; et cette passion
est égale aux fureurs de mon ambition.
Je préfère en secret Palmire à mes épouses.
Conçois-tu bien l'excès de mes fureurs jalouses,
quand Palmire à mes pieds, par un aveu fatal,
insulte à Mahomet, et lui donne un rival ?
Omar
Et tu n'es pas vengé ?
Mahomet
Juge si je dois l'être.
Pour le mieux détester, apprends à le connaître.
De mes deux ennemis apprends tous les forfaits ;
tous deux sont nés ici du tyran que je hais.
Omar
Quoi ! Zopire…
Mahomet
Est leur père : Hercide en ma puissance
remit depuis quinze ans leur malheureuse enfance.
J'ai nourri dans mon sein ces serpents dangereux ;
déjà sans se connaître ils m'outragent tous deux.
J'attisai de mes mains leurs feux illégitimes.
Le ciel voulut ici rassembler tous les crimes.
Je veux… leur père vient ; ses yeux lancent vers nous
les regards de la haine, et les traits du courroux.
Observe tout, Omar, et qu'avec son escorte
le vigilant Hercide assiège cette porte.
Reviens me rendre compte, et voir s'il faut hâter
ou retenir les coups que je dois lui porter.