ACTE CINQUIÈME - SCÈNE IV



Mahomet, Omar, sa suite, d'un côté ; Séide et le peuple, de l'autre ; Palmire, au milieu.

Séide (un poignard à la main, mais déjà affaibli par le poison)
Peuple, vengez mon père, et courez à ce traître.

Mahomet
Peuple, né pour me suivre, écoutez votre maître.

Séide
N'écoutez point ce monstre, et suivez-moi… grands dieux !
Quel nuage épaissi se répand sur mes yeux !
(il avance, il chancelle.)
frappons… ciel ! Je me meurs.

Mahomet
Je triomphe.

Palmire (courant à lui)
Ah, mon frère !
N'auras-tu pu verser que le sang de ton père ?

Séide
Avançons. Je ne puis… quel dieu vient m'accabler ?
(il tombe entre les bras des siens.)

Mahomet
Ainsi tout téméraire à mes yeux doit trembler.
Incrédules esprits, qu'un zèle aveugle inspire,
qui m'osez blasphémer, et qui vengez Zopire,
ce seul bras que la terre apprit à redouter,
ce bras peut vous punir d'avoir osé douter.
Dieu qui m'a confié sa parole et sa foudre,
si je me veux venger, va vous réduire en poudre.
Malheureux ! Connaissez son prophète et sa loi,
et que ce dieu soit juge entre Séide et moi.
De nous deux, à l'instant, que le coupable expire !

Palmire
Mon frère ! Eh quoi ! Sur eux ce monstre a tant d'empire !
Ils demeurent glacés, ils tremblent à sa voix.
Mahomet, comme un dieu, leur dicte encor ses lois ;
et toi, Séide, aussi !

Séide (entre les bras des siens)
Le ciel punit ton frère.
Mon crime était horrible autant qu'involontaire ;
en vain la vertu même habitait dans mon coeur.
Toi, tremble, scélérat ! Si dieu punit l'erreur,
vois quel foudre il prépare aux artisans des crimes ;
tremble ; son bras s'essaie à frapper ses victimes.
Détournez d'elle, ô dieu ! Cette mort qui me suit !

Palmire
Non, peuple, ce n'est point un dieu qui le poursuit ;
non ; le poison sans doute…

Mahomet (en l'interrompant, et s'adressant au peuple)
Apprenez, infidèles,
à former contre moi des trames criminelles ;
aux vengeances des cieux reconnaissez mes droits.
La nature et la mort ont entendu ma voix.
La mort, qui m'obéit, qui, prenant ma défense,
sur ce front pâlissant a tracé ma vengeance ;
la mort est, à vos yeux, prête à fondre sur vous.
Ainsi mes ennemis sentiront mon courroux ;
ainsi je punirai les erreurs insensées,
les révoltes du coeur, et les moindres pensées.
Si ce jour luit pour vous, ingrats, si vous vivez,
rendez grâce au pontife à qui vous le devez.
Fuyez, courez au temple apaiser ma colère.
(le peuple se retire.)

Palmire (revenant à elle)
Arrêtez. Le barbare empoisonna mon frère.
Monstre, ainsi son trépas t'aura justifié !
à force de forfaits tu t'es déifié.
Malheureux assassin de ma famille entière,
ôte-moi de tes mains ce reste de lumière.
ô frère ! ô triste objet d'un amour plein d'horreurs !
Que je te suive au moins !
(elle se jette sur le poignard de son frère, et s'en frappe.)

Mahomet
Qu'on l'arrête !

Palmire
Je meurs.
Je cesse de te voir, imposteur exécrable.
Je me flatte, en mourant, qu'un dieu plus équitable
réserve un avenir pour les coeurs innocents.
Tu dois régner ; le monde est fait pour les tyrans.

Mahomet
Elle m'est enlevée… ah ! Trop chère victime !
Je me vois arracher le seul prix de mon crime.
De ses jours pleins d'appas détestable ennemi,
vainqueur et tout-puissant, c'est moi qui suis puni.
Il est donc des remords ! ô fureur ! ô justice !
Mes forfaits dans mon coeur ont donc mis mon supplice !
Dieu, que j'ai fait servir au malheur des humains,
adorable instrument de mes affreux desseins,
toi que j'ai blasphémé, mais que je crains encore,
je me sens condamné, quand l'univers m'adore.
Je brave en vain les traits dont je me sens frapper.
J'ai trompé les mortels, et ne puis me tromper.
Père, enfants malheureux, immolés à ma rage,
vengez la terre et vous, et le ciel que j'outrage.
Arrachez-moi ce jour, et ce perfide coeur,
ce coeur né pour haïr, qui brûle avec fureur.
(à Omar.)
et toi, de tant de honte étouffe la mémoire ;
cache au moins ma faiblesse, et sauve encor ma gloire ;
je dois régir en dieu l'univers prévenu ;
mon empire est détruit si l'homme est reconnu.

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