ACTE PREMIER - SCÈNE II
Zopire, Palmire.
Zopire
Jeune et charmant objet dont le sort de la guerre,
propice à ma vieillesse, honora cette terre,
vous n'êtes point tombée en de barbares mains ;
tout respecte avec moi vos malheureux destins,
votre âge, vos beautés, votre aimable innocence.
Parlez ; et s'il me reste encor quelque puissance,
de vos justes désirs si je remplis les voeux,
ces derniers de mes jours seront des jours heureux.
Palmire
Seigneur, depuis deux mois sous vos lois prisonnière,
je dus à mes destins pardonner ma misère ;
vos généreuses mains s'empressent d'effacer
les larmes que le ciel me condamne à verser.
Par vous, par vos bienfaits, à parler enhardie,
c'est de vous que j'attends le bonheur de ma vie.
Aux voeux de Mahomet j'ose ajouter les miens ;
il vous a demandé de briser mes liens ;
puissiez-vous l'écouter ! Et puissé-je lui dire
qu'après le ciel et lui je dois tout à Zopire !
Zopire
Ainsi de Mahomet vous regrettez les fers,
ce tumulte des camps, ces horreurs des déserts,
cette patrie errante, au trouble abandonnée ?
Palmire
La patrie est aux lieux où l'âme est enchaînée.
Mahomet a formé mes premiers sentiments,
et ses femmes en paix guidaient mes faibles ans ;
leur demeure est un temple où ces femmes sacrées
lèvent au ciel des mains de leur maître adorées.
Le jour de mon malheur, hélas ! fut le seul jour
où le sort des combats a troublé leur séjour ;
seigneur, ayez pitié d'une âme déchirée,
toujours présente aux lieux dont je suis séparée.
Zopire
J'entends : vous espérez partager quelque jour
de ce maître orgueilleux et la main et l'amour.
Palmire
Seigneur, je le révère, et mon âme tremblante
croit voir dans Mahomet un dieu qui m'épouvante.
Non, d'un si grand hymen mon coeur n'est point flatté ;
tant d'éclat convient mal à tant d'obscurité.
Zopire
Ah ! Qui que vous soyez, il n'est point né peut-être
pour être votre époux, encor moins votre maître ;
et vous semblez d'un sang fait pour donner des lois
à l'arabe insolent qui marche égal aux rois.
Palmire
Nous ne connaissons point l'orgueil de la naissance ;
sans parents, sans patrie, esclaves dès l'enfance,
dans notre égalité nous chérissons nos fers ;
tout nous est étranger, hors le dieu que je sers.
Zopire
Tout vous est étranger ! Cet état peut-il plaire ?
Quoi ! Vous servez un maître, et n'avez point de père ?
Dans mon triste palais, seul et privé d'enfants,
j'aurais pu voir en vous l'appui de mes vieux ans ;
le soin de vous former des destins plus propices
eût adouci des miens les longues injustices.
Mais non, vous abhorrez ma patrie et ma loi.
Palmire
Comment puis-je être à vous ? Je ne suis point à moi.
Vous aurez mes regrets, votre bonté m'est chère ;
mais enfin Mahomet m'a tenu lieu de père.
Zopire
Quel père ! Justes dieux ! Lui ? Ce monstre imposteur !
Palmire
Ah ! Quels noms inouïs lui donnez-vous, seigneur !
Lui, dans qui tant d'états adorent leur prophète !
Lui, l'envoyé du ciel, et son seul interprète !
Zopire
étrange aveuglement des malheureux mortels !
Tout m'abandonne ici pour dresser des autels
à ce coupable heureux qu'épargna ma justice,
et qui courut au trône, échappé du supplice.
Palmire
Vous me faites frémir, seigneur ; et, de mes jours,
je n'avais entendu ces horribles discours.
Mon penchant, je l'avoue, et ma reconnaissance,
vous donnaient sur mon coeur une juste puissance ;
vos blasphèmes affreux contre mon protecteur
à ce penchant si doux font succéder l'horreur.
Zopire
ô superstition ! Tes rigueurs inflexibles
privent d'humanité les coeurs les plus sensibles.
Que je vous plains, Palmire ! Et que sur vos erreurs
ma pitié malgré moi me fait verser de pleurs !
Palmire
Et vous me refusez !
Zopire
Oui. Je ne puis vous rendre
au tyran qui trompa ce coeur flexible et tendre ;
oui, je crois voir en vous un bien trop précieux,
qui me rend Mahomet encor plus odieux.