ACTE DEUXIÈME - SCÈNE I
Séide, Palmire.
Palmire
Dans ma prison cruelle est-ce un dieu qui te guide ?
Mes maux sont-ils finis ? Te revois-je, Séide ?
Séide
ô charme de ma vie et de tous mes malheurs !
Palmire, unique objet qui m'a coûté des pleurs,
depuis ce jour de sang qu'un ennemi barbare,
près des camps du prophète, aux bords du Saïbare,
vint arracher sa proie à mes bras tout sanglants ;
qu'étendu loin de toi sur des corps expirants,
mes cris mal entendus sur cette infâme rive
invoquèrent la mort sourde à ma voix plaintive,
ô ma chère Palmire, en quel gouffre d'horreur
tes périls et ma perte ont abîmé mon coeur !
Que mes feux, que ma crainte, et mon impatience,
accusaient la lenteur des jours de la vengeance !
Que je hâtais l'assaut si longtemps différé,
cette heure de carnage, où, de sang enivré,
je devais de mes mains brûler la ville impie
où Palmire a pleuré sa liberté ravie !
Enfin de Mahomet les sublimes desseins,
que n'ose approfondir l'humble esprit des humains,
ont fait entrer Omar en ce lieu d'esclavage ;
je l'apprends, et j'y vole. On demande un otage ;
j'entre, je me présente ; on accepte ma foi,
et je me rends captif, ou je meurs avec toi.
Palmire
Séide, au moment même, avant que ta présence
vînt de mon désespoir calmer la violence,
je me jetais aux pieds de mon fier ravisseur.
Vous voyez, ai-je dit, les secrets de mon coeur ;
ma vie est dans les camps dont vous m'avez tirée ;
rendez-moi le seul bien dont je suis séparée.
Mes pleurs, en lui parlant, ont arrosé ses pieds ;
ses refus ont saisi mes esprits effrayés.
J'ai senti dans mes yeux la lumière obscurcie ;
mon coeur, sans mouvement, sans chaleur, et sans vie,
d'aucune ombre d'espoir n'était plus secouru ;
tout finissait pour moi, quand Séide a paru.
Séide
Quel est donc ce mortel insensible à tes larmes ?
Palmire
C'est Zopire : il semblait touché de mes alarmes ;
mais le cruel enfin vient de me déclarer
que des lieux où je suis rien ne peut me tirer.
Séide
Le barbare se trompe ; et Mahomet mon maître,
et l'invincible Omar, et moi-même peut-être
car j'ose me nommer après ces noms fameux,
pardonne à ton amant cet espoir orgueilleux,
nous briserons ta chaîne, et tarirons tes larmes.
Le dieu de Mahomet, protecteur de nos armes,
le dieu dont j'ai porté les sacrés étendards,
le dieu qui de Médine a détruit les remparts,
renversera la Mecque à nos pieds abattue.
Omar est dans la ville, et le peuple à sa vue
n'a point fait éclater ce trouble et cette horreur
qu'inspire aux ennemis un ennemi vainqueur ;
au nom de Mahomet un grand dessein l'amène.
Palmire
Mahomet nous chérit ; il briserait ma chaîne ;
il unirait nos coeurs ; nos coeurs lui sont offerts ;
mais il est loin de nous, et nous sommes aux fers.