ACTE DEUXIÈME - SCÈNE VI



Mahomet, Omar.

Omar
Mahomet, il faut l'être, ou nous sommes perdus ;
les secrets des tyrans me sont déjà vendus.
Demain la trêve expire, et demain l'on t'arrête ;
demain Zopire est maître, et fait tomber ta tête.
La moitié du sénat vient de te condamner ;
n'osant pas te combattre, on t'ose assassiner.
Ce meurtre d'un héros, ils le nomment supplice ;
et ce complot obscur, ils l'appellent justice.

Mahomet
Ils sentiront la mienne ; ils verront ma fureur.
La persécution fit toujours ma grandeur ;
Zopire périra.

Omar
Cette tête funeste,
en tombant à tes pieds, fera fléchir le reste.
Mais ne perds point de temps.

Mahomet
Mais, malgré mon courroux,
je dois cacher la main qui va lancer les coups,
et détourner de moi les soupçons du vulgaire.

Omar
Il est trop méprisable.

Mahomet
Il faut pourtant lui plaire ;
et j'ai besoin d'un bras qui, par ma voix conduit,
soit seul chargé du meurtre et m'en laisse le fruit.

Omar
Pour un tel attentat je réponds de Séide.

Mahomet
De lui ?

Omar
C'est l'instrument d'un pareil homicide.
Otage de Zopire, il peut seul aujourd'hui
l'aborder en secret, et te venger de lui.
Tes autres favoris, zélés avec prudence,
pour s'exposer à tout ont trop d'expérience ;
ils sont tous dans cet âge où la maturité
fait tomber le bandeau de la crédulité ;
il faut un coeur plus simple, aveugle avec courage,
un esprit amoureux de son propre esclavage ;
la jeunesse est le temps de ces illusions.
Séide est tout en proie aux superstitions ;
c'est un lion docile à la voix qui le guide.

Mahomet
Le frère de Palmire ?

Omar
Oui, lui-même, oui, Séide,
de ton fier ennemi le fils audacieux,
de son maître offensé rival incestueux.

Mahomet
Je déteste Séide, et son nom seul m'offense ;
la cendre de mon fils me crie encor vengeance ;
mais tu connais l'objet de mon fatal amour ;
tu connais dans quel sang elle a puisé le jour.
Tu vois que dans ces lieux environnés d'abîmes
je viens chercher un trône, un autel, des victimes ;
qu'il faut d'un peuple fier enchanter les esprits,
qu'il faut perdre Zopire, et perdre encor son fils.
Allons, consultons bien mon intérêt, ma haine,
l'amour, l'indigne amour, qui malgré moi m'entraîne,
et la religion, à qui tout est soumis,
et la nécessité, par qui tout est permis.

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