Scène V



(LISETTE, PASQUIN)

PASQUIN (, s'approchant de Lisette.)
Bonjour, ma fille, bonjour, mon cœur ; serviteur à mes amours.

LISETTE (, le repoussant un peu.)
Tout doucement.

PASQUIN
Qu'est-ce donc, beauté de mon âme ? D'où te vient cet air grave et rembruni ?

LISETTE
C'est que j'ai à te parler, et que je rêve : tu dis que tu m'aimes, et je suis en peine de savoir si je fais bien de te le rendre.

PASQUIN
Mais, ma mie, je ne comprends pas votre scrupule ; n'êtes-vous pas convenue avec moi que je suis aimable ? Eh donc !

LISETTE
Parlons sérieusement ; je n'aime point les amours qui n'aboutissent à rien.

PASQUIN
Qui n'aboutissent à rien ! Pour qui me prends-tu donc ? Veux-tu des sûretés ?

LISETTE
J'entends qu'il me faut un mari, et non pas un amant.

PASQUIN
Pour ce qui est d'un amant, avec un mari comme moi, tu n'en auras que faire.

LISETTE
Oui : mais si notre mariage ne se fait jamais ? si Madame Dorville, qui ne connaît point ton maître, marie sa fille à un autre, comme il y a quelque apparence. Il y a quelques jours qu'il lui échappa qu'elle avait des vues, et c'est sur quoi nous raisonnions tantôt, Constance et moi, de façon qu'elle est fort inquiète, et de temps en temps, nous sommes toutes deux tentées de vous laisser là.

PASQUIN
Malepeste ! gardez-vous en bien ; je suis d'avis même que nous vous donnions, mon maître et moi, chacun notre portrait, que vous regarderez, pour vaincre la tentation de nous quitter.

LISETTE
Ne badine point : j'ai charge de ma maîtresse de t'interroger adroitement sur de certaines choses. Il s'agit de savoir ce que tout cela peut devenir, et non pas de s'attacher imprudemment à des inconnus qu'il faut quitter, et qu'on regrette souvent plus qu'ils ne valent.

PASQUIN
M'amour, un peu de politesse dans vos réflexions.

LISETTE
Tu sens bien qu'il serait désagréable d'être obligée de donner sa main d'un côté, pendant qu'on laisserait son cœur d'un autre : ainsi voyons : tu dis que ton maître a du bien et de la naissance : que ne se propose-t-il donc ? Que ne nous fait-il donc demander en mariage ? Que n'écrit-il à son père qu'il nous aime, et que nous lui convenons ?

PASQUIN
Eh ! morbleu ! laisse-nous donc arriver à Paris ; à peine y sommes-nous. Il n'y a que huit jours que nous nous connaissons… Encore, comment nous connaissons-nous ? Nous nous sommes rencontrés, et voilà tout.

LISETTE
Qu'est-ce que cela signifie, rencontrés ?

PASQUIN
Oui, vraiment : ce fut le Chevalier, avec qui nous étions, qui aborda la mère dans le jardin ; ce qui continue de notre part : de façon que nous ne sommes encore que des amants qui s'abordent, en attendant qu'ils se fréquentent : il est vrai que c'en est assez pour s'aimer, et non pas pour se demander en mariage, surtout quand on a des mères qui ne voudraient pas d'un gendre de rencontre. Pour ce qui est de nos parents, nous ne leur avons, depuis notre arrivée, écrit que deux petites lettres, où il n'a pu être question de vous, ma fille : à la première, nous ne savions pas seulement que vos beautés étaient au monde ; nous ne l'avons su qu'une heure avant la seconde ; mais à la troisième, on mandera qu'on les a vues, et à la quatrième, qu'on les adore. Je défie qu'on aille plus vite.

LISETTE
Je crains que la mère, qui a ses desseins, n'aille plus vite encore.

PASQUIN (, d'un ton adroit.)
En ce cas-là, si vous voulez, nous pourrons aller encore plus vite qu'elle.

LISETTE (, froidement.)
Oui, mais les expédients ne sont pas de notre goût ; et en mon particulier, je congédierais, avec un soufflet ou deux, le coquin qui oserait me le proposer.

PASQUIN
S'il n'y avait que le soufflet à essuyer, je serais volontiers ce coquin-là, mais je ne veux pas du congé.

LISETTE
Achevons : dis-moi, cette charge que doit avoir ton maître est-elle achetée ?

PASQUIN
Pas encore, mais nous la marchandons.

LISETTE (, d'un air incrédule et tout riant.)
Vous la marchandez ?

PASQUIN
Sans doute ; t'imagines-tu qu'on achète une charge considérable comme on achète un ruban ? Toi qui parles, quand tu fais l'emplette d'une étoffe, prends-tu le marchand au mot ? On te surfait, tu rabats, tu te retires, on te rappelle, et à la fin on lâche la main de part et d'autre, et nous la lâcherons, quand il en sera temps.

LISETTE (, d'un air incrédule.)
Pasquin, est-il réellement question d'une charge ? Ne me trompes-tu pas ?

PASQUIN
Allons, allons, tu te moques ; je n'ai point d'autre réponse à cela que de te montrer ce minois. (Il montre son visage.)
Cette face d'honnête homme que tu as trouvée si belle et si pleine de candeur…

LISETTE
Que sait-on ? ta physionomie vaut peut-être mieux que toi ?

PASQUIN
Non, ma mie, non, on n'y voit qu'un échantillon de mes bonnes qualités, tout le monde en convient ; informez-vous.

LISETTE
Quoi qu'il en soit, je conseille à ton maître de faire ses diligences. Mais voilà quelqu'un qui paraît avoir envie de te parler ; adieu, nous nous reverrons tantôt.

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