Scène XV



(DAMON, CONSTANCE, LISETTE)

DAMON (, accourant.)
Ah ! Constance, je vous revois donc encore ! Auriez-vous part à la défense qu'on m'a faite ? Je me meurs de douleur ! Lisette, observe de grâce si Madame Dorville ne vient point.
(Lisette ne bouge.)

CONSTANCE
Ne vous adressez point à elle, Damon, elle est votre ennemie et la mienne. Vous dites que vous m'aimez, vous ne savez pas encore que j'y suis sensible ; mais le temps nous presse, et je vous l'avoue. Ma mère veut me marier à un autre que je hais, quel qu'il soit.

LISETTE (, se retournant.)
Je gage que non.

CONSTANCE (, à Lisette.)
Je vous défends de m'interrompre. (À Damon.)
Sur tout ce que vous m'avez dit, vous êtes un parti convenable ; votre père a sans doute quelques amis à Paris, allez les trouver, engagez-les à parler à ma mère. Quand elle vous connaîtra mieux, peut-être vous préférera-t-elle.

DAMON
Ah ! Madame, rien ne manque à mon malheur.

LISETTE
Point de mouvements, croyez-moi, tout est fait, tout est conclu, je vous parle en amie.

CONSTANCE
Laissez-la dire, et continuez.

DAMON (, lui montrant une lettre.)
Il ne me servirait à rien d'avoir recours à des amis, on vous a promise d'un côté, et on m'a engagé d'un autre : voici ce que m'écrit mon père. (Il lit.)
J'arrive incessamment à Paris, mon fils ; je compte que les affaires de votre charge sont terminées, et que je n'aurai plus qu'à remplir un engagement que j'ai pris pour vous, et qui est de terminer votre mariage avec une des plus aimables filles de Paris. Adieu.

LISETTE
Une des plus aimables filles de Paris ! Votre père s'y connaît, apparemment ?

DAMON
Eh ! n'achevez pas de me désoler.

CONSTANCE (, tendrement.)
Quelle conjoncture ! Il n'y a donc plus de ressource, Damon ?

DAMON
Il ne m'en reste qu'une, c'est d'attendre ici mon rival ; je ne m'explique pas sur le reste.

LISETTE (, en riant.)
Il ne serait pas difficile de vous le montrer.

DAMON
Quoi ! il est ici ?

LISETTE
Depuis que vous y êtes : figurez-vous qu'il n'est pas arrivé un moment plus tôt ni plus tard.

DAMON
Il n'ose donc se montrer ?

LISETTE
Il se montre aussi hardiment que vous, et n'a pas moins de cœur que vous.

DAMON
C'est ce que nous verrons.

CONSTANCE
Point d'emportement, Damon ; je vous quitte : peut-être qu'elle nous trompe pour nous épouvanter ; il est du moins certain que je n'ai point vu ce rival. Quoi qu'il en soit, je vais encore me jeter aux pieds de ma mère, et tâcher d'obtenir un délai qu'elle m'aurait déjà accordé, si cette fourbe que voilà ne l'en avait pas dissuadée. Adieu, Damon, ne laissez pas que d'agir de votre côté, et ne perdons point de temps.
(Elle part.)

DAMON
Oui, Constance, je ne négligerai rien ; peut-être nous arrivera-t-il quelque chose de favorable.
(Il veut partir.)

LISETTE (l'arrête par le bras.)
Non, Monsieur ; restez en repos sur ma parole, je suis pour vous, et j'y ai toujours été : je plaisante, je ne saurais vous dire pourquoi ; mais ne vous désespérez pas, tout ira bien, très bien, c'est moi qui vous le dis ; moi, vous dis-je, tranquillisez-vous, partez.

DAMON
Quoi ! tout ce que je vois…

LISETTE
N'est rien ; point de questions, je suis muette.

DAMON (, en s'en allant.)
Je n'y comprends rien.

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