Scène XIX



(PASQUIN et le véritable CHEVALIER démasqué.)

PASQUIN
Il était temps qu'ils partissent ; voici mon homme, le véritable.

LE CHEVALIER
Damon est-il venu ?

PASQUIN
Non, il va venir, et vous m'êtes consigné ; j'ai ordre de vous tenir compagnie, en attendant qu'il vienne.

LE CHEVALIER
Penses-tu qu'il tarde ?

PASQUIN
Il devrait être arrivé. (Et à part.)
Lisette me manque de parole.

LE CHEVALIER
C'est peut-être son banquier qui l'a remis.

PASQUIN
Oh ! non, Monsieur, il a la somme comptée en bel et bon or, je l'ai vue : ce sont des louis tout frais battus, qui ont une mine… (À part.)
Quel appétit je lui donne ! Et vous, Monsieur le Chevalier, êtes-vous bien riche ?

LE CHEVALIER
Pas mal ; et, suivant ta prédiction, je le serai encore davantage.

PASQUIN
Non. Je viens de tirer votre horoscope, et je m'étais trompé tantôt : mon maître perdra peut-être, mais vous ne gagnerez point.

LE CHEVALIER
Qu'est-ce que tu veux dire ?

PASQUIN
Je ne saurais vous l'expliquer, les astres ne m'en ont pas dit davantage ; ce qu'on lit dans le ciel est écrit en si petit caractère !

LE CHEVALIER
Et tu n'es pas, je pense, un grand astrologue.

PASQUIN
Vous verrez, vous verrez : tenez, je déchiffre encore qu'aujourd'hui vous devez rencontrer sur votre chemin un fripon qui vous amusera, qui se moquera de vous, et dont vous serez la dupe.

LE CHEVALIER
Quoi ! qui gagnera mon argent ?

PASQUIN
Non, mais qui vous empêchera d'avoir celui de mon maître.

LE CHEVALIER
Tais-toi, mauvais bouffon.

PASQUIN
J'aperçois aussi, dans votre étoile, un domino qui vous portera malheur ; il sera cause d'une méprise qui vous sera fatale.

LE CHEVALIER (, sérieusement.)
Ne vois-tu pas aussi dans mon étoile que je pourrais me fâcher contre toi ?

PASQUIN
Oui, cela y est encore ; mais je vois qu'il ne m'en arrivera rien.

LE CHEVALIER
Prends-y garde. C'est peut-être le petit caractère qui t'empêche d'y lire des coups de bâton. Laisse là tes contes ; ton maître ne vient point, et cela m'impatiente.

PASQUIN (, froidement.)
Il est même écrit que vous vous impatienterez.

LE CHEVALIER
Parle : t'a-t-il assuré qu'il viendrait ?

PASQUIN
Un peu de patience.

LE CHEVALIER
C'est que je n'ai qu'un quart d'heure à lui donner.

PASQUIN
Malepeste ! le mauvais quart d'heure !

LE CHEVALIER
Je vais toujours l'attendre dans le cabinet de la salle.

PASQUIN
Eh ! non, Monsieur, j'ai ordre de rester ici avec vous.

Autres textes de Marivaux

La Surprise de l'Amour

(PIERRE, JACQUELINE.)PIERRETiens, Jacquelaine, t'as une himeur qui me fâche. Pargué ! encore faut-il dire queuque parole d'amiquié aux gens.JACQUELINEMais qu'est-ce qu'il te faut donc ? Tu me veux pour ta...

La Seconde Surprise de l'amour

(LA MARQUISE, LISETTE.)(La Marquise entre tristement sur la scène ; Lisette la suit sans qu'elle le sache.)La Marquise (s'arrêtant et soupirant.)Ah !Lisette (derrière elle.)Ah !La MarquiseQu'est-ce que j'entends là ?...

La Réunion des Amours

(L'AMOUR, qui entre d'un côté, CUPIDON, de l'autre.)CUPIDON (, à part.)Que vois-je ? Qui est-ce qui a l'audace de porter comme moi un carquois et des flèches ?L'AMOUR (, à...

La Provinciale

(MADAME LÉPINE, LE CHEVALIER, LA RAMÉE)(Ils entrent en se parlant.)MADAME LÉPINEAh ! vraiment, il est bien temps de venir : je n'ai plus le loisir de vous entretenir ; il...

La mère confidente

(DORANTE, LISETTE.)DORANTEQuoi ! vous venez sans Angélique, Lisette ?LISETTEElle arrivera bientôt ; elle est avec sa mère : je lui ai dit que j'allais toujours devant, et je ne me...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024