Scène II
(LE CHEVALIER, DAMON, PASQUIN)
(On voit paraître le Chevalier.)
LE CHEVALIER
Où est ton maître, Pasquin ?
PASQUIN
Il est sorti, Monsieur.
LE CHEVALIER
Sorti ! Eh ! je le vois qui se promène. D'où vient est-ce que tu me le caches ?
PASQUIN (, brusquement.)
Je fais tout pour le mieux.
LE CHEVALIER
Bonjour, Damon. Ce valet ne voulait pas que je vous visse. Est-ce que vous avez affaire ?
DAMON
Non, c'est qu'il me rendait quelque compte qui ne presse pas.
PASQUIN
C'est que je n'aime pas ceux qui gagnent l'argent de mon maître.
LE CHEVALIER
Il le gagnera peut-être une autre fois.
PASQUIN
Tarare !
DAMON (, à Pasquin.)
Tais-toi.
LE CHEVALIER
Laissez-le dire ; je lui sais bon gré de sa méchante humeur, puisqu'elle vient de son zèle.
PASQUIN
Ajoutez : de ma prudence.
DAMON (, à Pasquin.)
Finiras-tu ?
LE CHEVALIER
Je n'y prends pas garde. Je vais dîner en ville, et je n'ai pas voulu partir sans vous voir.
DAMON
Ne reviendrez-vous pas ce soir ici pour être au bal ?
LE CHEVALIER
Je ne crois pas : il y a toute apparence qu'on m'engagera à souper où je vais.
DAMON
Comment donc ? Mais j'ai compté que ce soir vous me donneriez ma revanche.
LE CHEVALIER
Cela me sera difficile, j'ai même, ce matin, reçu une lettre qui, je crois, m'obligera à aller demain en campagne pour quelques jours.
DAMON
En campagne ?
PASQUIN
Eh oui ! Monsieur, il fait si beau : partez, Monsieur le Chevalier, et ne revenez pas, nos affaires ont grand besoin de votre absence ; il y a tant de châteaux dans les champs, amusez-vous à en ruiner quelqu'un.
DAMON (, à Pasquin.)
Encore ?
LE CHEVALIER
Il commence à m'ennuyer.
DAMON
Chevalier, encore une fois, je vous attends ce soir.
LE CHEVALIER
Vous parlerai-je franchement ? Je ne joue jamais qu'argent comptant, et vous me dites hier que vous n'en aviez plus.
DAMON
Que cela ne vous arrête point, je n'ai qu'un pas à faire pour en avoir.
LE CHEVALIER
En ce cas-là, nous nous reverrons tantôt.
PASQUIN (, d'un ton dolent.)
Hélas ! nous n'étions que blessés, nous voilà morts. (À son maître.)
Monsieur, cet argent qui est à deux pas d'ici, n'est pas à vous, il est à Monsieur votre père, et vous savez bien que son intention n'est pas que Monsieur le Chevalier y ait part ; il ne lui en destine pas une obole.
DAMON
Oh ! je me fâcherai à la fin : retire-toi.
PASQUIN (, en colère.)
Monsieur, je suis sûr que vous perdrez.
LE CHEVALIER (, en riant.)
Puisse-t-il dire vrai, au reste.
PASQUIN (, au Chevalier.)
Ah ! vous savez bien que je ne me trompe pas.
LE CHEVALIER (, comme ému.)
Hem ?
PASQUIN
Je dis qu'il perdra, vous êtes un si habile homme, que vous jouez à coup sûr.
DAMON
Je crois que l'esprit lui tourne.
PASQUIN
Il n'y a pas de mal à dire que vous perdrez, quand c'est la vérité.
LE CHEVALIER
Voilà un insolent valet.
PASQUIN (, sans regarder.)
Cela n'empêchera pas qu'il ne perde.
LE CHEVALIER
Adieu, jusqu'au revoir.
DAMON
Ne me manquez donc pas.
PASQUIN
Oh que non ! il vise trop juste pour cela.