Scène XIII



(MADAME DORVILLE, CONSTANCE, LISETTE)

MADAME DORVILLE
Approchez, Constance. Je disais à Lisette que je vais vous marier.

LISETTE (, d'un ton froid.)
Oui, et depuis que Madame m'a confié ses desseins, je suis fort de son sentiment ; je trouve que le parti vous convient.

CONSTANCE (, mutine avec timidité.)
Ce ne sont pas là vos affaires.

LISETTE
Je dois m'intéresser à ce qui vous regarde, et puis on m'a fait l'honneur de me communiquer les choses.

CONSTANCE (, à part, à Lisette en lui faisant la moue.)
Vous êtes jolie !

MADAME DORVILLE
Qu'avez-vous, ma fille ? Vous me paraissez triste.

CONSTANCE
Il y a des moments où l'on n'est pas gai.

LISETTE
Qui est-ce qui n'a pas l'humeur inconstante ?

CONSTANCE (, toujours piquée.)
Qui est-ce qui vous parle ?

LISETTE
Eh ! mais je vous excuse.

MADAME DORVILLE
À l'aigreur que vous montrez, Constance, on dirait que vous regrettez Damon… Vous ne répondez rien ?

CONSTANCE
Mais je l'aurais trouvé assez à mon gré, si vous me l'aviez permis, au lieu que je ne connais pas l'autre.

LISETTE
Allez, si j'en crois Madame, l'autre le vaut bien.

CONSTANCE (, à part, à Lisette.)
Vous me fatiguez.

MADAME DORVILLE
Damon vous plaît, ma fille ? je m'en suis doutée, vous l'aimez.

CONSTANCE
Non, ma mère, je n'ai pas osé.

LISETTE
Quand elle l'aimerait, Madame, vous connaissez sa soumission, et vous n'avez pas de résistance à craindre.

CONSTANCE (, à part, à Lisette.)
Y a-t-il rien de plus méchant que vous ?

MADAME DORVILLE
Ne dissimulez point, ma fille, on peut ou hâter ou retarder le mariage dont il s'agit ; parlez nettement : est-ce que vous aimez Damon ?

CONSTANCE (, timidement et hésitant.)
Je ne l'ai encore dit à personne.

LISETTE (, froidement.)
Je suis pourtant une personne, moi.

CONSTANCE
Vous mentez, je ne vous ai jamais dit que je l'aimais, mais seulement qu'il était aimable : vous m'en avez dit mille biens vous-même ; et puisque ma mère veut que je m'explique avec franchise, j'avoue qu'il m'a prévenue en sa faveur. Je ne demande pourtant pas que vous ayez égard à mes sentiments, ils me sont venus sans que je m'en aperçusse. Je les aurais combattus, si j'y avais pris garde, et je tâcherai de les surmonter, puisque vous me l'ordonnez ; il aurait pu devenir mon époux, si vous l'aviez voulu ; il a de la naissance et de la fortune, il m'aime beaucoup ; ce qui est avantageux en pareil cas, et ce qu'on ne rencontre pas toujours. Celui que vous me destinez feindra peut-être plus d'amour qu'il n'en aura ; je n'en aurai peut-être point pour lui, quelque envie que j'aie d'en avoir ; cela ne dépend pas de nous. Mais n'importe, mon obéissance dépend de moi. Vous rejetez Damon, vous préférez l'autre, je l'épouserai. La seule grâce dont j'ai besoin, c'est que vous m'accordiez du temps pour me mettre en état de vous obéir d'une manière moins pénible.

LISETTE
Bon ! quand vous aurez vu le futur, vous ne serez peut-être pas fâchée qu'on expédie, et mon avis n'est pas qu'on recule.

CONSTANCE
Ma mère, je vous conjure de la faire taire, elle abuse de vos bontés ; il est indécent qu'un domestique se mêle de cela.

MADAME DORVILLE (, en s'en allant.)
Je pense pourtant comme elle, il sera mieux de ne pas différer votre mariage. Adieu ; promenez-vous, je vous laisse. Si vous rencontrez Damon, je vous permets de souffrir qu'il vous aborde ; vous me paraissez si raisonnable que ce n'est pas la peine de vous rien défendre là-dessus.

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