Scène XXI



(MONSIEUR ORGON, DAMON, entrant démasqué et au désespoir, PASQUIN, LISETTE, LE CHEVALIER)

DAMON (, démasqué.)
Ah ! le maudit coup !

LE CHEVALIER
Eh ! d'où sortez-vous donc ? Je vous attendais.

DAMON
Que vois-je ? Ce n'est donc pas contre vous que j'ai joué ?

LE CHEVALIER
Non, votre fourbe de valet m'a dit que vous n'étiez pas arrivé. (À Pasquin.)
Tu m'amusais donc ?

PASQUIN
Oui, pour accomplir la prophétie.

LE CHEVALIER
Damon, je ne saurais rester ; une affaire m'appelle ailleurs. (À Lisette.)
Conduisez-moi.

LISETTE (, se démasquant.)
Ce n'est pas la peine, je vous amusais aussi, moi.
(Elle se retire.)

DAMON (, à Monsieur Orgon masqué.)
À qui donc ai-je eu affaire ? Qui êtes-vous, masque ?

MONSIEUR ORGON
Que vous importe ? Vous n'avez point à vous plaindre, j'ai joué avec honneur.

DAMON
Assurément. Mais après tout ce que j'ai perdu, vous ne sauriez me refuser de jouer encore cent louis sur ma parole.

MONSIEUR ORGON
Le ciel m'en préserve ! Je n'irai point vous jeter dans l'embarras où vous seriez, si vous les perdiez. Vous êtes jeune, vous dépendez apparemment d'un père ; je me reprocherais de profiter de l'étourdissement où vous êtes, et d'être, pour ainsi dire, le complice du désordre où vous voulez vous jeter ; j'ai même regret d'avoir tant joué ; votre âge et la considération de ceux à qui vous appartenez devaient m'en empêcher : croyez-moi, Monsieur ; vous me paraissez un jeune homme plein d'honneur, n'altérez point votre caractère par une aussi dangereuse habitude que l'est celle du jeu, et craignez d'affliger un père, à qui je suis sûr que vous êtes cher.

DAMON
Vous m'arrachez des larmes, en me parlant de lui ; mais je veux savoir avec qui j'ai joué : êtes-vous digne du discours que vous me tenez ?

MONSIEUR ORGON (, se démasquant.)
Jugez-en vous-même.

DAMON (, se jetant à ses genoux.)
Ah ! Mon père, je vous demande pardon.

LE CHEVALIER (, à part.)
Son père !

MONSIEUR ORGON (, relevant son fils.)
J'oublie tout, mon fils ; si cette scène-ci vous corrige, ne craignez rien de ma colère ; je vous connais, et ne veux vous punir de vos fautes qu'en vous donnant de nouveaux témoignages de ma tendresse ; ils feront plus d'effet sur votre cœur que mes reproches.

DAMON (, se rejetant à ses genoux.)
Eh bien ! mon père, laissez-moi encore vous jurer à genoux que je suis pénétré de vos bontés ; que vos ordres, que vos moindres volontés me seront désormais sacrés ; que ma soumission durera autant que ma vie, et que je ne vois point de bonheur égal à celui d'avoir un père qui vous ressemble.

LE CHEVALIER (, à Monsieur Orgon.)
Voilà qui est fort touchant ; mais j'allais lui donner sa revanche ; j'offre de vous la donner à vous-même.

MONSIEUR ORGON
On n'en a que faire, Monsieur. Mais, qui vient à nous ?

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