Scène XVI



(LISETTE, PASQUIN)

LISETTE
Ah ! voilà mon homme qui m'a tantôt ballottée. (À Pasquin.)
Je te rencontre fort à propos. D'où viens-tu ?

PASQUIN
Du café voisin, où j'avais à parler à un homme de mon pays qui m'y attendait pour affaire sérieuse. Eh bien ! comment suis-je dans ton esprit ? Quelle opinion as-tu de ma cervelle ? Me loges-tu toujours aux Petites-Maisons ?

LISETTE
Non, au lieu d'être fou, tu ne seras plus que sot.

PASQUIN
Moi, sot ! Je ne suis pas tourné dans ce goût-là ; tu me menaces de l'impossible.

LISETTE
Ce n'est pourtant que l'affaire d'un instant. Tiens, tu t'imagines que je serai à toi ; point du tout ; il faut que je t'oublie, il n'y a plus moyen de te conserver.

PASQUIN
Tu n'y entends rien, moitié de mon âme.

LISETTE
Je te dis que tu te blouses, mon butor.

PASQUIN
Ma poule, votre ignorance est comique.

LISETTE
Benêt, ta science me fait pitié ; veux-tu que je te confonde ? Damon devait épouser ma maîtresse, suivant la lettre qu'il a tantôt remise à Madame Dorville de la part de son père ; on en était convenu ; n'est-il pas vrai ?

PASQUIN
Mais effectivement ; je sens que ma mine s'allonge : as-tu commerce avec le diable ? Il n'y a que lui qui puisse t'avoir révélé cela.

LISETTE
Il m'a révélé un secret de mince valeur, car tout est changé ; votre lettre est venue trop tard ; Madame Dorville ne peut plus tenir parole, et Constance et moi nous sommes toutes deux arrêtées pour d'autres.

PASQUIN
Tu m'anéantis !

LISETTE
Es-tu sot, à présent ? Tu en as du moins l'air.

PASQUIN
J'ai l'air de ce que je suis.

LISETTE (, riant.)
Ah ! ah ! ah ! ah !…

PASQUIN
Tu m'assommes ! tu me poignardes ! je me meurs ! j'en mourrai !

LISETTE
Tu es donc fâché de me perdre ? Quelles délices !

PASQUIN
Ah ! scélérate, ah ! masque !

LISETTE
Courage ! tu ne m'as jamais rien dit de si touchant.

PASQUIN
Girouette !

LISETTE
À merveille, tu régales bien ma vanité ; mais écoute, Pasquin, fais-moi encore un pl aisir. Celui que j'épouse à ta place est jaloux, ne te montre plus.

PASQUIN (, outré.)
Quand je l'aurai étranglé, il sera le maître.

LISETTE (, riant.)
Tu es ravissant !

PASQUIN
Je suis furieux, ôte ta cornette, que je te batte.

LISETTE
Oh ! doucement, ceci est brutal.

PASQUIN
Allons, je cours vite avertir le père de mon maître.

LISETTE
Le père de ton maître ? Est-ce qu'il est ici ?

PASQUIN
L'esprit familier qui t'a dit le reste, doit t'avoir dit sa secrète arrivée.

LISETTE
Non, tu me l'apprends, nigaud.

PASQUIN
Que m'importe ? Adieu, vous êtes à nous, vos personnes nous appartiennent ; il faut qu'on nous en fasse la délivrance, ou que le diable vous emporte, et nous aussi.

LISETTE (, l'arrêtant.)
Tout beau, ne dérangeons rien ; ne va point faire de sottises qui gâteraient tout peut-être ; il n'y a pas le mot de ce que je t'ai dit ; la lettre en question est toujours bonne, et les conventions tiennent ; c'est ce que m'a confié Madame Dorville et je me suis divertie de ta douleur, pour me venger de la scène de tantôt.

PASQUIN
Ah ! Je respire. Convenons que nous nous aimons prodigieusement ; aussi le méritons-nous-bien.

LISETTE
À force de joie, tu deviens fat ; il se fait tard, tu me diras une autre fois pourquoi ton maître se cache : voici l'heure où l'on s'assemble dans la salle du bal ; Madame Dorville m'a dit qu'elle y mènerait Constance, et je vais voir si elles n'auront pas besoin de moi.

PASQUIN (, l'arrêtant.)
Attends, Lisette ; vois-tu ce domino jaune qui arrive ? C'est le Chevalier qui vient pour jouer avec mon maître, et qui lui gagnerait le reste de son argent ; je vais tâcher de l'amuser, pour l'empêcher d'aller joindre Damon ; mais reviens, si tu peux, dans un instant, pour m'aider à le retenir.

LISETTE
Tout à l'heure, je te rejoins ; il me vient une idée, je t'en débarrasserai : laisse-moi faire.

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