ACTE II - Scène V



(Lysander, Cléon)

cléon
Seigneur, n'êtes-vous point d'une humeur bien facile
D'applaudir à Cotys sur son manque de foi ?

lysander
Je prends pour l'attacher à moi
Ce qui s'offre de plus utile.
D'un emportement indiscret
Je ne voyais rien à prétendre :
Vouloir par force en faire un gendre,
Ce n'est qu'en vouloir faire un ennemi secret.
Je veux me l'acquérir : je veux, s'il m'est possible,
À force d'amitiés si bien le ménager,
Que quand je voudrai me venger,
J'en tire un secours infaillible.
Ainsi je flatte ses désirs,
J'applaudis, je défère à ses nouveaux soupirs,
Je me fais l'auteur de sa joie,
Je sers sa passion, et sous cette couleur
Je m'ouvre dans son âme une infaillible voie
À m'en faire à mon tour servir avec chaleur.

cléon
Oui, mais Agésilas, Seigneur, aime Mandane :
Du moins toute sa cour ose le deviner ;
Et promettre à Cotys cette illustre Persane,
C'est lui promettre tout pour ne lui rien donner.

lysander
Qu'à ses vœux mon tyran l'accorde ou la refuse,
De la manière dont j'en use,
Il ne peut m'ôter son appui ;
Et de quelque façon que la chose se passe,
Ou je fais la première grâce,
Ou j'aigris puissamment ce rival contre lui.
J'ai même à souhaiter que son feu se déclare.
Comme de notre Sparte il choquera les lois,
C'est une occasion que lui-même il prépare,
Et qui peut la résoudre à mieux choisir ses rois.
Nous avons trop longtemps asservi sa couronne
À la vaine splendeur du sang ;
Il est juste à son tour que la vertu la donne,
Et que le seul mérite ait droit à ce haut rang.
Ma ligue est déjà forte, et ta harangue est prête
À faire éclater la tempête,
Sitôt qu'il aura mis ma patience à bout.
Si pourtant je voyais sa haine enfin bornée
Ne mettre aucun obstacle à ce double hyménée,
Je crois que je pourrais encore oublier tout.
En perdant cet ingrat, je détruis mon ouvrage ;
Je vois dans sa grandeur le prix de mon courage,
Le fruit de mes travaux, l'effet de mon crédit.
Un reste d'amitié tient mon âme en balance :
Quand je veux le haïr je me fais violence,
Et me force à regret à ce que je t'ai dit.
Il faut, il faut enfin qu'avec lui je m'explique,
Que j'en sache qui peut causer
Cette haine si lâche, et qu'il rend si publique,
Et fasse un digne effort à le désabuser.

cléon
Il n'appartient qu'à vous de former ces pensées ;
Mais vous ne songez point avec quels sentiments
Vos deux filles intéressées
Apprendront de tels changements.

lysander
Aglatide est d'humeur à rire de sa perte :
Son esprit enjoué ne s'ébranle de rien.
Pour l'autre, elle a, de vrai, l'âme un peu moins ouverte,
Mais elle n'eut jamais de vouloir que le mien.
Ainsi je me tiens sûr de leur obéissance.

cléon
Quand cette obéissance a fait un digne choix,
Le cœur, tombé par là sous une autre puissance,
N'obéit pas toujours une seconde fois.

lysander
Les voici : laisse-nous, afin qu'avec franchise
Leurs âmes s'en ouvrent à moi.

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