ACTE V - Scène III



(Agésilas, Spitridate, Mandane, Xénoclès)

agésilas
Ô vue ! ô sur mon cœur regards trop absolus !
Que vous allez troubler mes vœux irrésolus !
Ne partez pas, Madame. Ô ciel ! J'en vais trop dire.

mandane
Je conçois mal, Seigneur, de quoi vous me parlez.
Moi partir ?

agésilas
Oui, partez, encor que j'en soupire.
Que ce mot ne peut-il suffire !

mandane
Je conçois encor moins pourquoi vous m'exilez.

agésilas
J'aime trop à vous voir et je vous ai trop vue :
C'est, Madame, ce qui me tue.
Partez, partez, de grâce.

mandane
Où me bannissez-vous ?

agésilas
Nommez-vous un exil le trône d'un époux ?

mandane
Quel trône, et quel époux ?

agésilas
Cotys…

mandane
Je crois qu'il m'aime ;
Mais si je vous regarde ici comme mon roi
Et comme un protecteur que j'ai choisi moi-même,
Puis-je sans votre aveu l'assurer de ma foi ?
Après tant de bontés et de marques d'estime,
À vous moins déférer je croirais faire un crime ;
Et mon âme…

agésilas
Ah ! C'est trop déférer, et trop peu.
Quoi ? Pour cet hyménée exiger mon aveu !

mandane
Jusque-là mon bonheur n'aura qu'incertitude ;
Et bien qu'une couronne éblouisse aisément…

spitridate
Ma sœur, il faut parler un peu plus clairement :
Le roi s'est plaint à moi de votre ingratitude.

mandane
Et je me plains à lui des inégalités
Qu'il me force de voir lui-même en ses bontés.
Tout ce que pour un autre a voulu ma prière,
Vous me l'avez, Seigneur, et sur l'heure accordé ;
Et pour mes intérêts ce qu'on a demandé
Prête à de prompts refus une digne matière !

agésilas
Si vous vouliez avoir des yeux
Pour voir de ces refus la véritable cause…

spitridate
N'est-ce pas assez dire, et faut-il autre chose ?
Voyez mieux sa pensée, ou répondez-y mieux.
Ces refus obligeants veulent qu'on les entende :
Ils sont de ses faveurs le comble, et la plus grande.
Tout roi qu'est votre amant, perdez-le sans ennui,
Lorsqu'on vous en destine un plus puissant que lui.
M'en désavouerez-vous, Seigneur ?

agésilas
Non, Spitridate.
C'est inutilement que ma raison me flatte :
Comme vous j'ai mon faible ; et j'avoue à mon tour
Qu'un si triste secours défend mal de l'amour.
Je vois par mon épreuve avec quelle injustice
Je vous refusais Elpinice :
Je cesse de vous faire une si dure loi.
Allez ; elle est à vous, si Mandane est à moi.
Ce que pour Lysander je semble avoir de haine
Fera place aux douceurs de cette double chaîne,
Dont vous serez le nœud commun ;
Et cet heureux hymen, accompagné du vôtre,
Nous rendant entre nous garant de l'un vers l'autre,
Réduira nos trois cœurs en un.
Madame, parlez donc.

spitridate
Seigneur, l'obéissance
S'exprime assez par le silence.
Trouvez bon que je puisse apprendre à Lysander
La grâce qu'à ma flamme il vous plaît d'accorder.

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