ACTE IV - Scène IV
(Aglatide, Mandane)
aglatide
Vous pourrez-vous résoudre à payer pour ce frère,
Madame, et de deux rois daignant en choisir un,
Me donner en sa place, ou le plus importun,
Ou le moins digne de vous plaire ?
mandane
Hélas !
aglatide
Je n'entends pas des mieux
Comme il faut qu'un hélas s'explique ;
Et lorsqu'on se retranche au langage des yeux,
Je suis muette à la réplique.
mandane
Pourquoi mieux expliquer quel est mon déplaisir ?
Il ne se fait que trop entendre.
aglatide
Si j'avais comme vous de deux rois à choisir,
Mes déplaisirs auraient peu de chose à prétendre.
Parlez donc, et de bonne foi :
Acquittez par ce choix Spitridate envers moi.
Ils sont tous deux à vous.
mandane
Je n'y suis pas moi-même.
aglatide
Qui des deux est l'aimé ?
mandane
Qu'importe lequel j'aime,
Si le plus digne amour, de quoi qu'il soit d'accord,
Ne peut décider de mon sort ?
aglatide
Ainsi je dois perdre espérance
D'obtenir de vous aucun d'eux ?
mandane
Donnez-moi votre indifférence,
Et je vous les donne tous deux.
aglatide
C'en serait un peu trop : leur mérite est si rare,
Qu'il en faut être plus avare.
mandane
Il est grand, mais bien moins que la félicité
De votre insensibilité.
aglatide
Ne me prenez point tant pour une âme insensible :
Je l'ai tendre, et qui souffre aisément de beaux feux ;
Mais je sais ne vouloir que ce qui m'est possible,
Quand je ne puis ce que je veux.
mandane
Laissez donc faire au ciel, au temps, à la fortune :
Ne voulez que ce qu'ils voudront ;
Et sans prendre d'attache, ou d'idée importune,
Attendez en repos les cœurs qui se rendront.
aglatide
Il m'en pourrait coûter mes plus belles années
Avant qu'ainsi deux rois en devinssent le prix ;
Et j'aime mieux borner mes bonnes destinées
Au plus digne de vos mépris.
mandane
Donnez-moi donc, Madame, un cœur comme le vôtre,
Et je vous les redonne une seconde fois ;
Ou si c'est trop de l'un et l'autre,
Laissez-m'en le rebut, et prenez-en le choix.
aglatide
Si vous leur ordonniez à tous deux de m'en croire,
Et que l'obéissance eût pour eux quelque appas,
Peut-être que mon choix satisferait ma gloire,
Et qu'enfin mon rebut ne vous déplairait pas.
mandane
Qui peut vous assurer de cette obéissance ?
Les rois, même en amour, savent mal obéir ;
Et les plus enflammés s'efforcent de haïr
Sitôt qu'on prend sur eux un peu trop de puissance.
aglatide
Je vois bien ce que c'est, vous voulez tout garder :
Il est honteux de rendre une de vos conquêtes,
Et quoi qu'au plus heureux le cœur veuille accorder,
L'œil règne avec plaisir sur deux si grandes têtes ;
Mais craignez que je n'use aussi de tous mes droits.
Peut-être en ai-je encor de garder quelque empire
Sur l'un et l'autre de ces rois,
Bien qu'à l'envi pour vous l'un et l'autre soupire,
Et si j'en laisse faire à mon esprit jaloux,
Quoique la jalousie assez peu m'inquiète,
Je ne sais s'ils pourront l'un ni l'autre pour vous
Tout ce que votre cœur souhaite.
(À Cotys.)
Seigneur, vous le savez, ma sœur a votre foi,
Et ne vous la rend que pour moi.
Usez-en comme bon vous semble ;
Mais sachez que je me promets
De ne vous la rendre jamais,
À moins d'un roi qui vous ressemble.