ACTE I - Scène II



(Spitridate, Elpinice, Aglatide)

elpinice
Seigneur, je me retire : entre les vrais amants
Leur amour seul a droit d'être de confidence,
Et l'on ne peut mêler d'agréable présence
A de si précieux moments.

spitridate
Un vertueux amour n'a rien d'incompatible
Avec les regards d'une sœur.
Ne m'enviez point la douceur
De pouvoir à vos yeux convaincre une insensible :
Soyez juge et témoin de l'indigne succès
Qui se prépare pour ma flamme ;
Voyez jusqu'au fond de mon âme
D'une si pure ardeur où va le digne excès ;
Voyez tout mon espoir au bord du précipice ;
Voyez des maux sans nombre et hors de guérison ;
Et quand vous aurez vu toute cette injustice,
Faites m'en un peu de raison.

aglatide
Si vous me permettez, Seigneur, de vous entendre,
De l'air dont votre amour commence à m'accuser,
Je crains que pour en bien user
Je ne me doive mal défendre.
Je sais bien que j'ai tort, j'avoue et hautement
Que ma froideur doit vous déplaire ;
Mais en cette froideur un heureux changement
Pourrait-il fort vous satisfaire ?

spitridate
En doutez-vous, Madame, et peut-on concevoir… ?

aglatide
Je vous entends, Seigneur, et vois ce qu'il faut voir :
Un aveu plus précis est d'une conséquence
Qui pourrait vous embarrasser ;
Et même à notre sexe il est de bienséance
De ne pas trop vous en presser.
À
Lysander mon père il vous plut de promettre
D'unir par notre hymen votre sang et le sien ;
La raison, à peu près, Seigneur, je la pénètre,
Bien qu'aux raisons d'état je ne connaisse rien.
Vous ne m'aviez point vue, et facile ou cruelle,
Petite ou grande, laide ou belle,
Qu'à votre humeur ou non je pusse m'accorder,
La chose était égale à votre ardeur nouvelle,
Pourvu que vous fussiez gendre de Lysander.
Ma sœur vous aurait plu s'il vous l'eût proposée ;
J'eusse agréé Cotys s'il me l'eût proposé.
Vous trouvâtes tous deux la politique aisée ;
Nous crûmes toutes deux notre devoir aisé.
Comme à traiter cette alliance
Les tendresses des cœurs n'eurent aucune part,
Le vôtre avec le mien a peu d'intelligence,
Et l'amour en tous deux pourra naître un peu tard.
Quand il faudra que je vous aime,
Que je l'aurai promis à la face des dieux,
Vous deviendrez cher à mes yeux ;
Et j'espère de vous le même.
Jusque-là votre amour assez mal se fait voir ;
Celui que je vous garde encor plus mal s'explique :
Vous attendez le temps de votre politique,
Et moi celui de mon devoir.
Voilà, Seigneur, quel est mon crime ;
Vous m'en vouliez convaincre, il n'en est plus besoin ;
J'en ai fait, comme vous, ma sœur juge et témoin :
Que ma froideur lui semble injuste ou légitime,
La raison que vous peut en faire sa bonté
Je consens qu'elle vous la fasse ;
Et pour vous en laisser tous deux en liberté,
Je veux bien lui quitter la place.

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