ACTE II - Scène IV



(Lysander, Cotys, Cléon)

cotys
Puisqu'elle vous l'a dit, pourrais-je vous le taire ?
Jugez, Seigneur, de mes ennuis :
Une autre qu'Elpinice à mes yeux a su plaire ;
Et l'aimer est un crime en l'état où je suis.

lysander
Ne traitez point, Seigneur, ce nouveau feu de crime :
Le choix que font les yeux est le plus légitime ;
Et comme un beau désir ne peut bien s'allumer
S'ils n'instruisent le cœur de ce qu'il doit aimer,
C'est ôter à l'amour tout ce qu'il a d'aimable,
Que les tenir captifs sous une aveugle foi ;
Et le don le plus favorable
Que ce cœur sans leur ordre ose faire de soi
Ne fut jamais irrévocable.

cotys
Seigneur, ce n'est point par mépris,
Ce n'est point qu'Elpinice aux miens n'ait paru belle ;
Mais enfin (le dirai-je ?)
oui, Seigneur, on m'a pris,
On m'a volé ce cœur que j'apportais pour elle :
D'autres yeux, malgré moi, s'en sont faits les tyrans,
Et ma foi s'est armée en vain pour ma défense ;
Ce lâche, qui s'est mis de leur intelligence,
Les a soudain reçus en justes conquérants.

lysander
Laissez-leur garder leur conquête.
Peut-être qu'Elpinice avec plaisir s'apprête
À vous laisser ailleurs trouver un sort plus doux,
Quand un autre pour elle a d'autres yeux que vous,
Qu'elle cède ce cœur à celle qui le vole,
Et qu'en ce même instant qu'on vous le surprenait,
Un pareil attentat sur sa propre parole
Lui dérobait celui qu'elle vous destinait.
Surtout ne craignez rien du côté d'Aglatide :
Je puis répondre d'elle, et quand j'aurai parlé,
Vous verrez tout son cœur, où mon vouloir préside,
Vous payer de celui qu'elle vous a volé.

cotys
Ah ! Seigneur, pour ce vol je ne me plains pas d'elle.

lysander
Et de qui donc ?

cotys
L'amour s'y sert d'une autre main.

lysander
L'amour !

cotys
Oui, cet amour qui me rend infidèle…

lysander
Seigneur, du nom d'amour n'abusez point en vain,
Dites d'Agésilas la haine insatiable :
C'est elle dont l'aigreur auprès de vous m'accable,
Et qui de jour en jour s'animant contre moi,
Pour me perdre d'honneur m'enlève votre foi.

cotys
Ah ! S'il y va de votre gloire,
Ma parole est donnée, et dussé-je en mourir,
Je la tiendrai, Seigneur, jusqu'au dernier soupir ;
Mais quoi que la surprise ait pu vous faire croire,
N'accusez point Agésilas
D'un crime de mon cœur, que même il ne sait pas.
Mandane, qui m'ordonne à vos yeux de le dire,
Vous montre assez par là quel souverain empire
L'amour lui donne sur ce cœur.
Ne considérez point si j'aime ou si l'on m'aime ;
En matière d'honneur ne voyez que vous-même,
Et disposez de moi comme veut cet honneur.

lysander
L'amour le fera mieux ; ce que j'en viens d'apprendre
M'offre un sujet de joie où j'en voyais d'ennui :
Épouser la sœur de mon gendre,
C'est le devenir comme lui.
Aglatide d'ailleurs n'est pas si délaissée
Que votre exemple n'aide à lui trouver un roi ;
Et pour peu que le ciel réponde à ma pensée,
Ce sera plus de gloire et plus d'appui pour moi.
Aussi ferai-je plus : je veux que de moi-même
Vous teniez cet objet qui vous fait soupirer ;
Et Spitridate, à moins que de m'en assurer,
N'obtiendra jamais ce qu'il aime.
Je veux dès aujourd'hui savoir d'Agésilas
S'il pourra consentir à ce double hyménée,
Dont ma parole était donnée.
Sa haine apparemment ne m'en avouera pas :
Si pourtant par bonheur il m'en laisse le maître,
J'en userai, Seigneur, comme je le promets ;
Sinon, vous lui ferez connaître
Vous-même quels sont vos souhaits.

cotys
Ah ! Que Mandane et moi n'avons-nous mille vies,
Seigneur, pour vous les immoler !
Car je ne saurais plus vous le dissimuler,
Nos âmes en seront également ravies.
Souffrez-lui donc sa part en ces ravissements ;
Et pardonnez, de grâce, à mon impatience…

lysander
Allez : on m'a vu jeune, et par expérience
Je sais ce qui se passe au cœur des vrais amants.

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