ACTE III - Scène II
(Agésilas, Xénoclès)
agésilas
D'un peu d'amour que j'eus Aglatide a parlé :
Son père qui l'a su dans son âme s'en flatte ;
Et sur ce vain espoir il part tout consolé
Du refus que j'en fais aux vœux de Spitridate :
Tu l'as vu, Xénoclès, tout d'un coup s'adoucir.
xenocles
Oui ; mais enfin, Seigneur, il est temps de le dire,
Tout soumis qu'il paraît, apprenez qu'il conspire,
Et par où sa vengeance espère y réussir.
Ce confident choisi, Cléon d'Halicarnasse,
Dont l'éloquence a tant d'éclat,
Lui vend une harangue à renverser l'état,
Et le mettre bientôt lui-même en votre place.
En voici la copie, et je la viens d'avoir
D'un des siens sur qui l'or me donne tout pouvoir,
De l'esclave Damis, qui sert de secrétaire
À cet orateur mercenaire,
Et plus mercenaire que lui,
Pour être mieux payé vous les livre aujourd'hui.
On y soutient, Seigneur, que notre république
Va bientôt voir ses rois devenir ses tyrans,
À moins que d'en choisir de trois ans en trois ans,
Et non plus suivant l'ordre antique
Qui règle ce choix par le sang ;
Mais qu'indifféremment elle doit à ce rang
Élever le mérite et les rares services.
J'ignore quels sont les complices ;
Mais il pourra d'Éphèse écrire à ses amis ;
Et soudain le paquet entre vos mains remis
Vous instruira de toutes choses.
Cependant j'ai fait mon devoir.
Vous voyez le dessein, vous en savez les causes ;
Votre perte en dépend : c'est à vous d'y pourvoir.
agésilas
A te dire le vrai, l'affaire m'embarrasse ;
J'ai peine à démêler ce qu'il faut que je fasse,
Tant la confusion de mes raisonnements
Étonne mes ressentiments.
Lysander m'a servi : j'aurais une âme ingrate
Si je méconnaissais ce que je tiens de lui ;
Il a servi l'état, et si son crime éclate,
Il y trouvera de l'appui.
Je sens que ma reconnaissance
Ne cherche qu'un moyen de le mettre à couvert ;
Mais enfin il y va de toute ma puissance :
Si je ne le perds, il me perd.
Ce que veut l'intérêt, la prudence ne l'ose ;
Tu peux juger par là du désordre où je suis.
Je vois qu'il faut le perdre ; et plus je m'y dispose,
Plus je doute si je le puis.
Sparte est un état populaire,
Qui ne donne à ses rois qu'un pouvoir limité :
On peut y tout dire et tout faire
Sous ce grand nom de liberté.
Si je suis souverain en tête d'une armée,
Je n'ai que ma voix au sénat ;
Il faut y rendre compte ; et tant de renommée
Y peut avoir déjà quelque ligue formée
Pour autoriser l'attentat.
Ce prétexte flatteur de la cause publique,
Dont il le couvrira, si je le mets au jour,
Tournera bien des yeux vers cette politique
Qui met chacun en droit de régner à son tour.
Cet espoir y pourra toucher plus d'un courage ;
Et quand sur Lysander j'aurai fait choir l'orage,
Mille autres, comme lui jaloux ou mécontents,
Se promettront plus d'heur à mieux choisir leur temps.
Ainsi de toutes parts le péril m'environne :
Si je veux le punir, j'expose ma couronne ;
Et si je lui fais grâce, ou veux dissimuler,
Je dois craindre…
xenocles
Cotys, Seigneur, vous veut parler.
agésilas
Voyons quelle est sa flamme, avant que de résoudre
S'il nous faudra lancer ou retenir la foudre.