ACTE TROISIÈME - Scène I



(LA PRÊTRESSE, YDASAN.)

YDASAN
J'ai paru devant lui, je l'ai revu, ce roi,
Ce héros autrefois plus inconnu que moi
De mes chagrins profonds domptant la violence,
J'ai jusqu'à le prier forcé ma répugnance.
Mes traits défigurés par l'outrage du temps,
Ce front cicatrisé couvert de cheveux blancs,
Ne l'ont point empêché de daigner reconnaître
Un vieux concitoyen dont les yeux l'ont vu naître.
Je me suis étonné qu'il vît couler mes pleurs
Sans marquer ces dédains qu'inspirent les grandeurs.
Le temps, dont il commence à ressentir l'injure,
Aurait-il amolli cette âme fière et dure ?
D'un regard adouci ce prince a commandé
Qu'on me rendît mon sang que j'ai redemandé.
Polycrate, indigné de l'ordre de son père,
Ne pouvait devant lui retenir sa colère :
Le barbare est sorti la fureur dans les yeux.

LA PRÊTRESSE
Tout est à redouter de cet audacieux.
Son père a pour lui seul une aveugle tendresse :
Avec étonnement on voit tant de faiblesse.
Ce roi si défiant, si redouté de tous,
Si ferme en ses desseins, du pouvoir si jaloux,
Est mollement soumis, comme un homme vulgaire,
Au superbe ascendant d'un jeune téméraire.
Il n'aime point Argide ; il semble redouter
Cette mâle vertu qu'il ne peut imiter :
Ce noble caractère et l'indigne et l'outrage.
Il aime Polycrate, il chérit son image.
Le barbare en abuse ; il n'est point de forfaits
Dont son emportement n'ait souillé le palais.
Le père fut tyran, le fils l'est davantage :
Sans la vertu d'Argide, et sans ce fier courage,
Votre sang malheureux, flétri, déshonoré,
Au lâche Polycrate allait être livré.

YDASAN
Il eût fait cet affront à son malheureux père !

LA PRÊTRESSE
Il l'osait : mais Argide est un dieu tutélaire,
Un dieu qui parmi nous aujourd'hui descendu,
Vient consoler la terre et venger la vertu.
Vous lui devez l'honneur, vous lui devez la vie :
Emmenez votre fille. Un barbare, un impie,
Aux lois des nations peut encore attenter ;
Son caractère affreux ne sait rien respecter.
Entre le crime et lui mettez les mers profondes ;
Qu'un favorable dieu vous guide sur les ondes !
Souvenez-vous de moi sous un ciel plus heureux.

YDASAN
Vos vertus, vos bontés, ont surpassé mes voeux.
Sans doute avec regret de vous je me sépare ;
Mais il me faut sortir de ce séjour barbare ;
Il me faut mourir libre, et j'y cours de ce pas.

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