ACTE TROISIÈME - Scène II



(LA PRÊTRESSE, YDASAN, ÉGESTE.)

ÉGESTE
Nous sommes tous perdus : ami, n'avance pas ;
La mort est désormais le recours qui nous reste.
Argide, Polycrate, Ydace….

YDASAN
Ah, cher Égeste !
Ma fille ! Ydace ! parle, et donne-moi la mort.

ÉGESTE
Nous conduisions Ydace ; elle approchait du port ;
Elle vous attendait pour quitter Syracuse :
Les peuples empressés au bord de l'Aréthuse,
Pleurant de son départ, admirant sa beauté,
Chargeaient le ciel de vœux pour sa prospérité.
Tout à coup Polycrate, écartant tout le monde,
Paraît comme un éclair qui fend la nuit profonde :
Il se saisit d'Ydace : et d'un bras détesté,
Il arrache sa proie au peuple épouvanté.
Argide seul, Argide entreprend sa défense ;
Sa fermeté s'oppose à tant de violence :
L'infâme ravisseur, un poignard à la main,
Sur ce jeune héros s'est élancé soudain
Argide a combattu ; mais avec quel courage !
On croyait voir un dieu contre un monstre sauvage.
Polycrate vaincu tombe et meurt à ses pieds :
Les cris des citoyens jusqu'au ciel envoyés
En portent à l'instant la nouvelle à son père ;
Tandis qu'en son triomphe oubliant sa colère,
Le vainqueur attendri secourt en gémissant
Le farouche ennemi qui meurt en menaçant.

YDASAN
Tu ne m'as rien appris qui ne nous soit propice.
Nous sommes tous vengés.

LA PRÊTRESSE
Le ciel à fait justice ;
C'est un tyran de moins dans nos calamités.

YDASAN
Quittons ces lieux, marchons… Qu'ai-je à craindre ?

ÉGESTE (, l'arrêtant.)
Écoutez.
Le roi, qui dans ce fils mit sa seule espérance,
Accourt sur le lieu même, en nous criant : Vengeance !
Mon fils dénaturé vient d'égorger mon fils !
Ses farouches soldats s'assemblent à ses cris ;
Le peuple se disperse, et fuit d'un pas timide.
Agathocle éperdu fait arrêter Argide ;
On saisit votre fille, et, dans son trouble affreux,
Le roi désespéré vous a proscrits tous deux.

YDASAN
Ma fille, ton seul nom déchire mes entrailles !
J'espérais de mourir dans les champs de batailles :
Sous le fer des bourreaux allons-nous expirer ?…
Il faut qu'un vieux soldat meure sans murmurer.
Mais toi ?

ÉGESTE
S'il commettait cette horrible injustice,
Je ne puis, Ydasan, que vous suivre au supplice :
Le pouvoir despotique est maître de nos jours ;
Nous sommes sans appui, sans armes, sans secours…
Mais ne pouvez-vous pas, prêtresse qu'on révère,
Faire parler du moins votre saint caractère ?

LA PRÊTRESSE
Ce temps n'est plus : j'ai vu que des dieux autrefois
On respectait l'empire, on écoutait la voix ;
Le remords arrêtait sur le bord de l'abîme ;
La justice éternelle épouvantait le crime…
Sur nos dieux abattus les tyrans élevés,
De nos biens enrichis, de nos pleurs abreuvés,
A nos antiques droits ont déclaré la guerre :
Là rapine et l'orgueil sont les dieux de la terre.

ÉGESTE
Séparons-nous : on vient. C'est Agathocle en pleurs :
Comme vous il est père, et je crains ses douleurs ;
La vengeance les suit.

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