ACTE CINQUIÈME - Scène II
(YDASAN, LA PRÊTRESSE, ARGIDE, YDACE ; GARDES et ASSISTANTS, dans le fond.)
ARGIDE
On le permet ; je viens chercher ici ma grâce.
YDASAN
Seigneur, que dites-vous ?
ARGIDE
Contre son ravisseur
J'ai défendu ta fille, et vengé son honneur ;
J'ai fait plus : je l'aimais, et, m'immolant pour elle,
Je m'imposais moi-même une absence éternelle.
Je te demande ici le prix de la vertu
Pour qui je vais mourir, pour qui j'ai combattu.
J'étouffais mon amour, et je n'ai pu prétendre(Malheureux d'être prince)
à devenir ton gendre :
Mais enfin de ce nom je suis trop honoré ;
Je veux dans mon tombeau porter ce nom sacré…
Ydace, en nous aimant expirons l'un et l'autre.
Que ma mourante main puisse presser la vôtre[10] ;
Que mes yeux soient encore attachés sur vos yeux ;
Que la divinité qui nourrit nos aïeux
Préside avec l'hymen à notre heure fatale !
(A la prêtresse.)
O prêtresse ! allumez la torche nuptiale…
(A Ydasan.)
Embrassons-nous, mon père, à nos derniers moments.
Ydace, chère Ydace, acceptez mes serments ;
Ils sont purs comme vous : nos âmes rassemblées
Au ciel qui les forma vont être rappelées ;
Conserve, s'il se peut, équitable avenir,
De l'amour le plus saint l'éternel souvenir !
YDACE (, à Ydasan.)
Les sentiments d'Argide ont passé dans mon âme ;
Son courage m'élève, et sa vertu m'enflamme.
Le nom de son épouse est un titre trop beau
Pour que vous refusiez d'en orner mon tombeau.
Non, Argide, avec vous la mort n'est point cruelle :
La vie est passagère, et la gloire immortelle.
YDASAN
Ah, mon prince ! ah, ma fille !
LA PRÊTRESSE
Infortunés époux !
Couple digne du ciel ! il est ouvert pour vous ;
Il voit un grand spectacle, et digne qu'on l'envie,
La vertu qui combat contre la tyrannie[11].
YDASAN
Chère fille ! grand prince ! en quel horrible jour,
En quels horribles lieux me parlez-vous d'amour !
Eh bien ! je vous unis ; eh bien ! dieux que j'atteste,
Dieux des infortunés, formez ce nœud funeste ;
Et, pour le célébrer, renversez nos tyrans
Dans l'abîme où la foudre a plongé les Titans !
Que le feu de l'Etna dans ses gouffres s'allume !
Que le barbare y tombe, y vive, et s'y consume !
Que son juste supplice, à jamais renaissant,
Soit l'éternel vengeur de mon sang innocent,
Et tombent la Sicile et Syracuse en poudre,
Si l'oppresseur du peuple échappait à la foudre !
Voilà mes vœux pour vous, chers et tendres amants,
Et nos chants de l'hymen, et mes derniers serments.
LA PRÊTRESSE
Notre heure est arrivée : Agathocle s'avance,
Il ajoute à la mort l'horreur de sa présence.
ARGIDE
Quoi ! sa cour l'environne, et son peuple le suit !
YDASAN
Quel démon, quel dessein devant nous le conduit ?