ACTE PREMIER - Scène II
(YDASAN, YDACE, ÉGESTE, LA PRÊTRESSE.)
YDACE
Je baigne de mes pleurs vos genoux que j'embrasse :
Je vous ai vu, mon père, et vers vous j'ai volé.
Chez les Syracusains qui vous a rappelé ?
Y seriez-vous tombé dans mon état funeste ?
Qu'y venez-vous chercher ?
YDASAN
Le seul bien qui me reste,
(A la prêtresse.)
Mon sang, ma chère fille… O vous, dont la bonté
Tend une main propice à la calamité,
Puisse des justes dieux la justice éternelle
Payer d'un digne prix le noble et tendre zèle
Qui donne aux grands du monde, en ces jours malheureux,
Un exemple si beau, si peu suivi par eux !
LA PRÊTRESSE
J'ai rempli faiblement le devoir qui m'engage.
YDASAN
Je viens sauver ma fille, et la rendre à Carthage :
Protégez-nous.
YDACE
Hélas ! vos soins sont superflus ;
Je suis esclave.
YDASAN
Non, tu ne le seras plus ;
Je viens te délivrer.
YDACE
O le meilleur des pères !
Quoi ! vos bontés pour moi finiraient mes misères !
YDASAN
Oui, de ta liberté j'ai rassemblé le prix.
YDACE
Vous, hélas ! de vos biens les malheureux débris
Ne vous laisseraient plus qu'une indigence affreuse !
YDASAN
Va, sois libre, il suffit, et ma mort est heureuse…
As-tu dans ta prison paru devant le roi ?
YDACE
Non, comment pourrait-il s'abaisser jusqu'à moi ?
Comment un conquérant, du sein de la victoire,
De la hauteur du trône où resplendit sa gloire,
Pourrait-il distinguer un objet ignoré,
A de communs malheurs obscurément livré ?
Sait-il mon sort, mon nom, l'horreur où l'on me laisse ?
De Cérès en ces lieux cette digne prêtresse
A daigné seulement, dans ma captivité,
Porter sur mon désastre un regard de bonté ;
Ses soins ont adouci mn fortune cruelle :
J'apprends à moins souffrir en souffrant auprès d'elle.
YDASAN
Je vais trouver ce roi : j'espère que son cœur,
Quoiqu'il soit corrompu par trente ans de bonheur,
Quoique le rang suprême et le temps l'endurcisse,
N'osera devant moi commettre une injustice :
Il se ressouviendra que je fus son égal.
LA PRÊTRESSE
Il l'a trop oublié.
YDASAN
Dans son faste royal
Il rougira peut-être en voyant ma misère.
LA PRÊTRESSE
J'en doute : mais allez, tendre et généreux père.
Que la simple vertu puisse enfin le toucher !
Surtout que de son trône on vous laisse approcher.