LES MEMES plus COURONNE et BRISEFER qui reviennent d'où ils sont allés. BRISEFER va tout droit à l'auberge. COURONNE reste à l'écart pour écouter. Puis CREPIN.
EVARISTE
Que voulez-vous me donner?
JEANNINE
L'éventail.
EVARISTE
Gardez-le, ne me tourmentez pas.
JEANNINE
Vous me le donnez, cet éventail?
EVARISTE
Oui, gardez-le, je vous le donne. (A part)
Je suis hors de moi !
COURONNE (à part)
Oh oh, maintenant, je sais le cadeau qu'il lui a fait. Un éventail.
(Il entre dans l'auberge sans être vu.)
EVARISTE
Mais si Candide refuse de se montrer à moi, si par aventure elle ne se met pas à sa fenêtre, si, en me voyant, elle ne consent pas à m'écouter, si sa tante le lui interdit, je vais sombrer dans un océan d'agitation et de trouble.
(CREPIN entre avec, sur l'épaule, un sac plein de cuir, de souliers, etc. Il se dirige vers son échoppe mais, voyant EVARISTE et JEANNINE, il s'arrête pour écouter.)
JEANNINE
Cher Monsieur Evariste, vous me faites pitié, vous me faites de la peine.
EVARISTE
Oui, ma chère Jeannine, je le mérite vraiment.
JEANNINE
Un Monsieur si bon, si aimable, si courtois.
EVARISTE
Vous connaissez mon cœur, vous êtes témoin de mon amour.
CREPIN (à part, son sac sur l'épaule)
Eh bien, je suis arrivé au bon moment.
JEANNINE
Vraiment, si je savais comment faire pour vous consoler !
CREPIN (à part)
Bravo !
EVARISTE
Oui, coûte que coûte, je veux tenter ma chance ! Je ne veux pas pouvoir me reprocher d'avoir négligé de m'expliquer. Je vais au café, Jeannine, j'y vais, et j'y vais en tremblant. (Il lui prend la main.)
Gardez-moi votre affection et votre tendresse.
(Il entre dans le café.)
JEANNINE
D'un côté il me fait rire et de l'autre il me fait pitié.
(CREPIN pose son sac, en tire des souliers etc., les range sur non établi et entre sans mot dire dans son échoppe.)
JEANNINE
Oh, voilà Crépin. Bonjour ! Où étiez-vous jusqu'à maintenant?
CREPIN
Vous ne le voyez pas? Je suis allé acheter du cuir et chercher des souliers à ressemeler.
JEANNINE
Mais vous ne faites que ressemeler de vieux souliers ! Je ne voudrais pas que l'on dise… Vous savez bien qu'il n'y a que des mauvaises langues.
CREPIN (travaillant)
Oh, les mauvaises langues auront plus à faire avec vous qu'avec moi.
JEANNINE
Avec moi? que peut-on dire sur moi?
CREPIN
Que m'importe à moi que l'on dise que je suis plus savetier que cordonnier? Il me suffit d'être un honnête nomme et de gagner honorablement ma vie. (Il continue de travailler.)
JEANNINE
Mais moi, je ne voudrais pas qu'on m'appelât la savetière.
CREPIN
Quand cela?
JEANNINE
Quand je serai votre femme.
CREPIN
Ah !
JEANNINE
Ah! Pourquoi dites-vous ah? que signifie ah?
CREPIN
Il signifie que Madame Jeannine ne sera ni savetière ni cordonnière et qu'elle a des idées plus grandioses que cela.
JEANNINE
Etes-vous fou ou bien auriez-vous bu, ce matin?
CREPIN
Je ne suis pas fou et je n'ai pas bu; mais je ne ni aveugle ni sourd.
JEANNINE (s'avançant)
Que diable voulez-vous dire? Expliquez-vous si vous voulez que je vous comprenne.
CREPIN
Vous voulez que je m'explique? Je vais m'expliquer. Est-ce que vous croyez que je n'ai pas entendu votre belle conversation avec Monsieur Evariste?
JEANNINE
Avec Monsieur Evariste?
CREPIN (contrefaisant EVARISTE)
Oui, ma chère Jeannine… vous connaissez mon cœur… vous êtes témoin de mon amour.
JEANNINE (riant)
Oh, le fou !
CREPIN (contrefaisant JEANNINE)
Vraiment, si je savais comment faire pour vous consoler !
JEANNINE (même jeu)
Oh, le fou !
CREPIN (contrefaisant EVARISTE)
Jeannine, gardez-moi votre affection et votre tendresse.
JEANNINE (même jeu)
Fou, triple fou! CREPIN, — Moi, je suis fou?
JEANNINE
Oui, vous, vous êtes fou, archifou et plus que fou!
CREPIN
Par la barbe du diable, est-ce que je ne vous ai pas vus de mes yeux? Est-ce que je n'ai pas entendu votre belle conversation avec Monsieur Evariste?
JEANNINE
Fou !
CREPIN
Et ce que vous lui avez répondu?
JEANNINE
Fou.
CREPIN (menaçant)
Jeannine, finissez-en de me traiter de fou, sinon je vais me conduire pour tout de bon comme un fou.
JEANNINE (d'un ton grave)
Eh là, eh là ! (Puis changeant de ton. )
Vous croyez donc que Monsieur Evariste a du penchant pour moi?
CREPIN
Je n'en sais rien.
JEANNINE
Et que moi, je serais assez bête pour en avoir pour lui?
CREPIN
Je n'en sais rien.
JEANNINE
Venez ici et écoutez. (Très vite.)
Monsieur Evariste est l'amant de Madame Candide, et Madame Candide s'est gaussée de lui et veut épouser Monsieur le Baron. Et Monsieur Evariste est désespéré, il est venu s'épancher auprès de moi, et moi, je faisais semblant de le plaindre et il se laissait consoler par moi. Vous avez compris?
CREPIN
Pas un mot.
JEANNINE
Vous êtes convaincu de mon innocence?
CREPIN
Pas trop.
JEANNINE (vivement)
S'il en est ainsi, allez au diable ! Couronné est amoureux de moi, il me courtise. Mon frère lui a donné sa parole. Monsieur le Comte me pousse à l'accepter pour mari, il m'en supplie. J'épouserai Couronné.
CREPIN
Doucement, doucement. Ne vous mettez pas tout de suite en colère. Puis-je être sûr que vous me dites la vérité? Que vous n'avez que faire de Monsieur Evariste?
JEANNINE
Et vous ne voudriez pas que je vous traite de fou? (Le caressant.)
Mon cher Crépin, moi qui vous aime tant, vous qui êtes mon âme, mon cher petit mari.
CREPIN (doucement)
Que vous a donné Monsieur Evariste?
JEANNINE
Rien.
CREPIN
Rien vraiment? Rien?
JEANNINE
Quand je vous dis rien, c'est rien. (A part.)
Je ne veux pas qu'il sache que Monsieur Evariste m'a donné un éventail : il deviendrait tout de suite soupçonneux.
CREPIN
Je peux en être sûr?
JEANNINE
Allons, voyons, ne me tourmentez pas.
CREPIN
Vous m'aimez?
JEANNINE
Oui, je vous aime.
CREPIN
Allons, faisons la paix.
(Il lui effleure la main.)
JEANNINE (riant)
Fou !
CREPIN (riant)
Mais pourquoi fou?
JEANNINE
Parce que vous êtes un fou !
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