L'Éventail
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TROISIÈME ACTE - PREMIÈRE SCÈNE

Carlo Goldoni

TROISIÈME ACTE - PREMIÈRE SCÈNE


Scène muette jusqu'à l'arrivée du COMTE et du BARON.
CREPIN sort de son échoppe avec du pain, du fromage, une assiette où il y a quelque chose à manger, et un récipient vide. Il fait de la place sur son établi pour dîner. TONIN, un balai à la main, sort de la villa, court à la boutique de l'apothicaire et y entre. CREPIN, toujours sans parler, se met à couper son pain. COURONNE sort de l'auberge avec BRISEFER qui a sur le dos une barrique semblable à celle qu'il a portée chez LE COMTE. COURONNE passe devant CREPIN, le regarde et rit. CREPIN le regarde et frémit de colère. COURONNE, toujours riant, dépasse CREPIN et sort du même côté que celui par lequel il est sorti avec la première barrique. CREPIN suit des yeux COURONNE qui sort et, quand il ne le voit plus, reprend ses occupations. TONIN, sortant de chez l'apothicaire, vient balayer les débris de fioles cassées. TIMOTHEE sort en courant de sa boutique, va à la villa et y entre. TONIN balaie. CREPIN prend son récipient et va mélancoliquement à l'auberge où il entre. TONIN balaie. SUZANNE sort de sa boutique, arrange son étalage, puis s'assied et se met à travailler. TONIN rentre à la villa et ferme la porte. CREPIN sort de l'auberge avec son récipient plein de vin, et en riant, il regarde l'éventail qu'il a sous son sarrau, cela pour son propre plaisir mais aussi pour le faire voir un public. Il va à son établi et pose le récipient par terre. JEANNINE sort de chez elle, s'assied et se met à filer. CREPIN s'assied, tire l'éventail de sous son sarrau, le cache en riant sous les morceaux de cuir et se met à manger. COURONNE revient, seul, par où il est sorti. Il passe devant CREPIN et rit. CREPIN mange et rit. COURONNE, à la porte de l'auberge, rit et entre. CREPIN tire l'éventail de sa cachette, le regarde et rit, puis, après l'avoir remis en place, il continue de manger et de boire. Là se termine la scène muette.
LE COMTE et LE BARON sortent de la villa.

LE COMTE
Non, mon ami, excusez-moi, vous ne pouvez vous plaindre de rien.

LE BARON
Je vous assure que je n'ai pas non plus de raison de me féliciter.

LE COMTE
Si Madame Candide s'est trouvée mal, c'est un accident : il faut avoir de la patience. Vous savez que les femmes sont sujettes aux vapeurs, aux affections stériles.

LE BARON
Stériles? Vous voulez sans doute dire hystériques…

LE COMTE
Mais oui, stériques, hystériques, comme vous voudrez ! En somme, si elle ne vous a pas fait un très bon accueil, ce n'est pas sa faute, c'est celle de la maladie.

LE BARON
Mais quand nous sommes arrivés, elle n'était pas malade, et dès qu'elle m'a vu, elle s'est retirée dans sa chambre.

LE COMTE
Parce qu'elle sentait son mal qui commençait.

LE BARON
Avez-vous observé Madame Gertrude quand elle est sortie de la chambre de sa nièce : de quel air ému, de quel air étonné elle lisait ces feuillets qui ressemblaient à des lettres ?

LE COMTE
C'est une femme qui a de nombreuses affaires. C'étaient sans doute des lettres qui venaient tout juste d'arriver.

LE BARON
Non, c'étaient de vieilles lettres. Je parie que c'est quelque chose qu'elle a trouvé sur la table de chevet ou sur Madame Candide.

LE COMTE
Vous êtes curieux, mon cher collègue, vous êtes exquis, vous êtes bizarre. Qu'allez-vous imaginer là?

LE BARON
J'imagine ce qui pourrait être. Je soupçonne qu'il y a une certaine intelligence entre Madame Candide et Evariste.

LE COMTE
Oh ! il n'y a pas à le redouter. S'il en était ainsi, je le saurais. Moi, je sais tout. Rien ne se fait dans ce village que je ne le sache. Et puis s'il en était comme vous le dites, croyez- vous qu'elle aurait accepté votre proposition? Qu'elle aurait osé compromettre la médiation d'un gentilhomme de ma sorte?

LE BARON
Cette raison-là est la bonne : elle a dit oui sans se faire prier. Mais Madame Gertrude, après avoir lu ces lettres, ne m'a plus témoigné autant d'amabilités qu'avant; et même, dans un certain sens, cela a semblé lui faire plaisir que nous nous en allions.

LE COMTE
Je vais vous dire. Tout ce que nous pouvons reprocher à Madame Gertrude; c'est qu'elle ne nous ait pas proposé de rester dîner avec elle.

LE BARON
Oh, ce n'est pas cela qui me tracasse.

LE COMTE
Je lui ai pourtant tendu la perche, mais elle a fait semblant de ne pas comprendre.

LE BARON
Je vous assure qu'elle avait grande envie de nous voir disparaître.

LE COMTE
Je suis désolé pour vous… Où dînez-vous aujourd'hui?

LE BARON
J'ai commandé à l'aubergiste un dîner pour deux.

LE COMTE
Pour deux?

LE BARON
J'attends Evariste qui est allé à la chasse.

LE COMTE
Si vous voulez venir dîner chez moi…

LE BARON
Chez vous?

LE COMTE
Mais mon château est à une demi-lieue d'ici.

LE BARON
Je vous remercie, mais mon dîner est déjà commandé. Holà de l'auberge ! Couronné !


TROISIÈME ACTE - PREMIÈRE SCÈNE

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