LES MEMES plus LE COMTE et LE BARON qui sortent ensemble de l'auberge.
LE COMTE
Je suis heureux que vous m'ayez fait cette confidence. Fiez-vous à moi et ne craignez rien.
LE BARON
Je sais que vous êtes ami de Madame Gertrude.
LE COMTE
Oh, mon cher, je vais vous expliquer. C'est une femme qui a quelque talent : moi, j'aime la littérature et je m'entretiens plus volontiers avec elle qu'avec une autre. A part cela, du reste, c'est une pauvre roturière. Son mari lui a laissé cette masure et quelques lopins de terre, et pour être respectée dans ce village, elle a besoin de ma protection.
LE BARON
Vive Monsieur le Comte, protecteur des veuves et des jolies femmes!
LE COMTE
Que voulez-vous? En ce monde, il faut être bon à quelque chose.
LE BARON
Donc, vous voulez bien me rendre le service…
LE COMTE
Ne craignez rien, je lui parlerai, je lui demanderai sa nièce pour un gentilhomme de mes amis, et comme c'est moi qui la lui demanderai, je suis sûr qu'elle n'aura pas le courage, qu'elle n'aura pas l'audace de dire non.
LE BARON
Dites-lui qui je suis.
LE COMTE
A quoi bon? Du moment que c'est moi qui la lui demande.
LE BARON
Mais c'est pour moi que vous la demandez?
LE COMTE
Pour vous.
LE BARON
Savez-vous bien qui je suis?
LE COMTE
Comment pourrais-je l'ignorer? Comment pourrais-je ignorer vos titres, vos richesses, les charges que vous occupez? Voyons, entre gens de qualité, on se connaît!
LE BARON (à part)
Oh, qu'il me plairait de me moquer de lui, si je n'avais pas besoin de ses services !
LE COMTE (vivement)
Oh, bien-aimé collègue…
LE BARON
Qu'y a-t-il?
LE COMTE
Voici Madame Gertrude et sa nièce.
LE BARON
Elles sont occupées, je crois qu'elles ne nous ont pas vus.
LE COMTE
Non, évidemment. Si Madame Gertrude m'avait vu, elle serait tout de suite venue à moi.
LE BARON
Quand lui parlerez-vous?
LE COMTE
Sur-le-champ, si vous voulez.
LE BARON
Il vaut mieux que je ne sois pas là. Parlez-lui, moi, je vais aller chez l'apothicaire.
LE COMTE
Pourquoi chez l'apothicaire?
LE BARON
Il me faut un peu de rhubarbe pour ma digestion.
LE COMTE
De la rhubarbe? Il vous donnera de la racine de sureau.
LE BARON
Non, non, je m'y connais. Si ce n'est pas de la vraie rhubarbe, je ne la prendrai pas. Je me recommande à vous.
LE COMTE (l'embrassant)
Bien-aimé collègue.
LE BARON
Adieu, très cher collègue. (A part)
C'est le plus beau fou que cette terre ait jamais porté. (Il entre dans la boutique de l'apothicaire.)
LE COMTE (à voix très haute)
Madame Gertrude.
GERTRUDE
Oh, Monsieur le Comte, pardonnez-moi, je ne vous avais pas vu. (Elle se lève.)
LE COMTE
Un mot, de grâce,
SUZANNE
Si Monsieur le Comte veut venir ici, il est chez lui.
LE COMTE (à GERTRUDE)
Non, non, j'ai quelque chose à vous dire en secret. Pardonnez- moi de vous déranger, mais je vous prie de venir me rejoindre.
GERTRUDE
Je suis à vous tout de suite. Permettez-moi de payer un bonnet que nous venons d'acheter et je vous rejoins.
(Elle tire une bourse pour payer SUZANNE et pour faire traîner les choses.)
LE COMTE
Elle tient à payer tout de suite : c'est là un vice que je n'ai jamais eu.
La pièce "Les Rustres" (I Rusteghi), écrite par Carlo Goldoni en 1760, est une comédie en trois actes qui critique les conventions rigides et l’autoritarisme des hommes dans la société...
La pièce "Arlequin, valet de deux maîtres" (Il servitore di due padroni), écrite par Carlo Goldoni en 1745, est une comédie en trois actes qui illustre parfaitement l'habileté de Goldoni...